Irlande - Amazonie : Le cadeau et le défi (2ème partie) - LCI Oct. 2019

Préparer le terrain pour un changement radical

 

John O’Loughlin Kennedy

Irlande

Octobre 2019

 

John O'Loughlin Kennedy est un économiste à la retraite et un entrepreneur social. En 1968, il a fondé, avec son épouse Kay, l'organisation internationale de secours et de développement CONCERN WORLDWIDE, qui emploie actuellement environ 3 800 personnes autochtones pour des activités de développement dans 28 des pays les plus pauvres du monde.

 

Le pape François est confronté aux problèmes interdépendants du cléricalisme, des abus sexuels, des abus de pouvoir, de l'injustice institutionnalisée, des compromissions, d’un personnel de la curie dépourvu de relations vivantes avec Jésus et devenu bureaucrate, de la pénurie de prêtres et de la « famine » eucharistique.

Ces échecs montrent la priorité à l'amour du prochain ; François a récemment ressenti le besoin de proclamer : "Il n'y a pas de place pour l'égoïsme dans l'Église".

C’est un écho direct de saint Paul : "L'indulgence pour soi est opposée à l'Esprit" (Gal 5, 17), "Les hommes vivants ne doivent pas vivre pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux "(2 Co 5, 15).

François a préparé le terrain pour un changement radical. Cela se reflète dans l’ampleur des propositions exposées dans le document de travail du Synode, l’Instrumentum Laboris.

Les changements nécessaires pour remédier à la « famine » sacramentelle et adapter la pratique de la mission aux nombreuses cultures autochtones d'Amazonie feront face à des moments périlleux tout au long du synode.

Ils devront vaincre les formidables forces d’intérêt personnel et les freins bureaucratiques des groupes de pression qui ont permis de créer bon nombre de ces problèmes.

Mais quelle que soit la forme que prendront les changements, ils ne pourront être décidés et mis en œuvre que par les dirigeants du sacerdoce professionnel dont les prérogatives et les privilèges seront directement affectés.

Les participants devront subordonner leur intérêt personnel, ainsi que celui de leurs collègues, aux besoins de la mission.

Les évêques missionnaires de la région qui ont été consultés ont clairement indiqué que des changements étaient essentiels. On peut s’attendre à ce que d’autres évêques missionnaires les soutiennent.

 

Cependant, l'attitude de la curie sera cruciale.

La curie s’est opposée à l’ordination des hommes mariés lorsqu’elle avait déjà été examinée par le synode de 1971. Un changement à ce moment-là aurait pu empêcher la pénurie de prêtres sans atteindre les proportions de la crise actuelle.

Le changement avait été demandé et soutenu dans les soumissions pré-synodales, par les conférences épiscopales de  régions missionnaires et par certaines dans des pays où l'Église n'était pas encore à court de prêtres.

Il semblait avoir un large soutien.

Pourtant, étonnamment, il a été rejeté. Un tel résultat fut possible car la proportion de cardinaux et d'évêques curiaux présents était suffisante pour déterminer l'issue du vote synodal car la structure synodale a été conçue dès le départ pour assurer le contrôle par la curie.

Les décisions synodales sont purement consultatives mais l'aura du pouvoir romain en pâtit si l'exhortation papale postérieure ne reflète pas les recommandations.

En 1971, les voix de la curie s'opposaient à l'ordination d'hommes mariés qui fut comparée pendant les débats au « début de la fin qui pourrait mener Dieu sait où ».

Cette réticence à traiter un problème réel et immédiat, de craindre d'éventuels conséquences imprévues à l'avenir, a révélé un déprimant manque de confiance en la conduite du l’Esprit.

Le refus de changer peut être interprété comme une inertie bureaucratique ou comme le refus d’une profession d’abandonner ses privilèges et traditions face aux deux missions principales de l'Église.

Les évêques missionnaires avaient le droit de leur côté. Ils manquaient manifestement de prêtres et ne parvenaient pas à assurer les sacrements. Ils pouvaient citer le récent concile : "l'activité missionnaire est la tâche la plus grande et la plus sacrée de l'Église" (LG 23).

Le droit du pape Paul VI de gouverner à sa guise n'était pas remis en question, mais les évêques missionnaires souhaitaient que le synode affirme sans équivoque que "en raison des besoins pastoraux et du bien de l'Église universelle" un pape pouvait "permettre l'ordination sacerdotale d’hommes".

La curie a proposé à la place un énoncé contradictoire : "Sans toujours nier le droit du souverain pontife, l'ordination sacerdotale d'hommes mariés n'est pas autorisée, même dans des cas particuliers".

Cependant au fur et à mesure que la discussion avançait, il semblait que la partie pouvait se gagner.

Mais le cardinal Franjo Seper, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a publiquement proposé que les supérieurs religieux (qui avaient soutenu le changement concernant le clergé diocésain) et les évêques des églises orientales (déjà habitués à un clergé marié) devraient être exclus du vote sur la question. Paul VI a cependant refusé cette tentative de charcutage électoral.

Il a ensuite été annoncé que le vote ne serait pas secret. Les bulletins devaient être signés ! Les évêques missionnaires, qui comptaient beaucoup sur le soutien du Vatican, risquaient alors de fâcheuses répercussions en fonction de la manière dont ils auraient voté.

En fin de compte, le vote en décida. Par 107 voix contre 87, la position de la Curie eu gain de cause. Le déficit sacramentel dans les zones de mission pourrait ainsi être toléré pendant encore 50 ans sans perturber les consciences.

La décision, cependant, n'empêcha pas l'approbation ultérieure de l'ordination des hommes mariés lorsque la papauté voulut faciliter la conversion de paroisses anglicanes entières avec leurs pasteurs.

Les recommandations qui émergeront du prochain Synode panamazonien pourraient encore une fois dépendre du consensus des cardinaux curiaux et des évêques qui n'ont jamais été confrontés à la « famine » sacramentelle.

Ils devront choisir entre les nouvelles priorités inspirées par le pape François ou leurs préoccupations de pouvoir, de contrôle et de résistance au changement.

Les évêques missionnaires se verront peut-être rappeler la nécessité de préserver les relations de travail avec la curie.

Le pape François aura le dernier mot ; il sait écouter, son exhortation post-synodale reflétera sans aucun doute le débat. Cependant, quels que soient les changements qui se produiront, il faudra du temps pour les enraciner profondément.

Dans l'intervalle, la Curie continuera à être le gouvernement de l'Église catholique romaine, réunissant à la fois les pouvoirs législatif, judiciaire et administratif et contrôlant plus de 4 000 évêques dispersés dans le monde et à qui ont été refusées les structures qui auraient rendu la collégialité efficace.

Malheureusement, la préservation de soi, la résistance au changement, la recherche du pouvoir font partie de l'ADN de toute bureaucratie ; plus grande en est sa taille, plus fortes sont ces forces.

Théoriquement, les papes jouissent d'un pouvoir illimité, mais ils ne règnent en moyenne que neuf ans. Ils ont tendance à être âgés et il n’y a que 24 heures dans la journée d’un pape ; la plupart d’entre eux sont contrôlés par la curie elle-même.

La bureaucratie romaine dure. La curie se perpétue elle-même. Elle existe sous différents noms depuis 380 ap. J.C., lorsque la bureaucratie païenne de l’empire romain vieille de 600 ans est soudainement devenue chrétienne sur ordre de l’empereur Théodose. Le leadership de l’évêque de Rome s’imposa avec le titre païen convoité (mais christologiquement indéfendable) de Pontifex Maximus.

La bureaucratie christianisée fut en charge incontestée des affaires religieuses pendant cent ans dans le cadre de l'administration civile de l'empire romain qui englobait une grande partie du monde connu à l'époque. Avec l'effondrement de l'empire occidental en 476, elle perdit cette hégémonie.

L'ambition romaine de retrouver une domination totale est depuis lors une caractéristique récurrente et dramatique de l'histoire de l'Eglise. Elle a atteint son zénith avec la définition de l'infaillibilité papale et de la juridiction universelle au concile Vatican I.

La bureaucratie dure. À long terme, elle réussit.

 

Les 4 parties de cet article : 

Amazonia the gift and the challenge 1ère partieAmazonia the gift and the challenge 1ère partie

Amazonia the gift and the challenge 2ème partieAmazonia the gift and the challenge 2ème partie

Amazonia the gift and the challenge 3ème partieAmazonia the gift and the challenge 3ème partie

Amazonia the gift and the challenge 4ème partieAmazonia the gift and the challenge 4ème partie

Amazonia: The gift and the challenge (Part II)

Setting the scene for radical change

John O’Loughlin Kennedy

Ireland

October, 2019

This is the second of a four-part series before the Synod of Bishops' Oct. 6-27 special assembly on the Pan-Amazonian region that will discuss the theme "New Paths for the Church and for an Integral Ecology."

In his encyclicals and sermons, Pope Francis has been facing the inter-related problems of clericalism, abuse of sex, abuse of power, institutionalized injustice, cronyism, curia personnel who lack a living relationship with Jesus and become "bureaucrats", shortage of priests and Eucharistic famine.

These are all failures to prioritize love of neighbor. He recently felt the need to proclaim: "There is no place for selfishness in the Church".

This is a direct echo of St Paul's "self-indulgence is the opposite of the Spirit" (Gal. 5:17, Jer.) and "living men should live no longer for themselves, but for him who died and was raised to life for them," (2 Cor. 5:15).

He has been setting the scene for radical change. This is reflected in the breadth of proposals set out in the working document of the Synod, the Instrumentum Laboris.

The changes necessary to remedy the sacramental famine and adapt mission practice to the many indigenous cultures in Amazonia will face a hazardous passage through the Synod.

They will have to overcome the formidable forces of group self-interest and bureaucratic values that helped to create many of the problems in the first place.

Whatever form the changes take, they can only be decided and implemented by the leaders of the professional priesthood whose prerogatives and privileges will be directly affected.

It will require participants to subordinate their own self-interest, and that of their colleagues, to the missionary needs and opportunities of the times.

The missionary bishops of the area who have been consulted, have made it clear that changes are essential. Other missionary bishops may be expected to support them.

However, the attitude taken by the curia will be crucial.

The curia opposed the ordination of married men when it was discussed previously by the Synod, in 1971. A change then might have prevented the shortage of priests acknowledged then from reaching crisis proportions now.

The change had been requested or supported in pre-synodal submissions, by the Episcopal Conferences in missionary areas and by some in countries where the Church was not yet desperately short of priests.

It seemed to command widespread support.

Yet, surprisingly, it was voted down when the Synod met. Such an outcome was possible because the proportion of curial cardinals and bishops in attendance is normally enough to determine the outcome of a Synod vote. The Synodal structure was designed from the outset to ensure curial control.

While Synodal decisions are purely advisory, the generalized aura of Roman inerrancy suffers if the subsequent Papal Exhortation is not seen to reflect the recommendations.

In 1971, the curia voices were opposing the ordination of married men, which was likened during the debate to "the thin end of the wedge" that might lead God-knows-where.

This reluctance to deal with a real and immediate problem for fear of possible unforeseen problems in the future revealed a depressing lack of confidence in the guidance of the Holy Spirit.

The unwillingness to change could be interpreted at a more worldly level as bureaucratic inertia or as the profession prioritizing its privileges and traditions over the Church's two primary mandates.

The missionary bishops had principle on their side. They had a manifest shortage of priests and a failure to adequately provide the sacraments. They could quote the recent Council: "missionary activity is the greatest and holiest task of the Church" (LG 23).

The right of Pope Paul VI to govern as he pleased was not being questioned but the missionary bishops wanted the Synod to assert unequivocally that "by reason of pastoral needs and the good of the universal church" a pope could "allow the priestly ordination of married men".

The curia proposed instead the internally contradictory statement: "Without denying always the right of the Supreme Pontiff, the priestly ordination of married men is not permitted, even in particular cases".

As the discussion progressed, it began to look as if the curial bloc vote might be insufficient to win the day.

Cardinal Franjo Seper, Prefect of the Congregation for the Doctrine of the Faith, publicly proposed that the religious superiors (who had supported the change in respect of diocesan clergy) and the bishops of the Eastern Churches (who were already accustomed to a married clergy) should be excluded from voting on the issue.

Paul VI scotched this attempt at gerrymandering.

It was then announced that the voting would not be secret. Ballots had to be signed! This worried missionary bishops who relied heavily on Vatican support, lest it foreshadowed future repercussions, depending on how they were seen to have voted.

In the end the curial vote decided the issue. The internally contradictory statement won by 107 votes to 87. It meant that the sacramental shortfall in mission areas could be tolerated for another 50 years without disturbing any curial conscience.

The decision, however, did not prevent a later approval of the ordination of married men — when the papacy wanted to facilitate the conversion of entire Anglican parishes with their pastors.

The actual recommendations to emerge from the upcoming Pan-Amazonian Synod may depend once more on the consensus of the curial cardinals and non-diocesan bishops, who have never presided over sacramental famine nor are ever likely to do so.

They will have to choose between the new priorities inspired by Pope Francis or the bureaucratic preoccupation with power and control and resistance to change.

The missionary bishops may again be reminded of their need to preserve a working relationship with the curia going forward.

While Pope Francis will have the last word, he is a good listener and his post-Synodal Exhortation will undoubtedly reflect the debate. Whatever changes emerge, however, will take time to put down strong roots.

In the meantime, the Curia will continue to be the government of the Roman Catholic Church, being the legislature, judiciary and administration combined in one and holding sway over 4,000 dispersed bishops who have been denied the structures that would have made Collegiality effective.

Unfortunately, self-preservation, resistance to change and the pursuit of additional power and control are in the DNA of every bureaucracy—the larger, the more so.

Theoretically, popes enjoy unlimited power, but they reign for an average of only nine years. They tend to be overworked, elderly men and there are only 24 hours in a pope's day, most of them managed by the curia itself.

The Roman bureaucracy endures. The curia is self-perpetuating and has been so, under different names, since 380 AD, when the 600-year-old pagan bureaucracy of the Roman Empire suddenly became a Christian one, by order of Emperor Theodosius, with the Bishop of Rome taking over the leadership and, before long, the coveted (but Christologically indefensible) pagan title of Pontifex Maximus.

The Christianised bureaucracy was in undisputed charge of religious affairs for a hundred years as part of the civil administration of the Roman empire which encompassed much of the then known world.

With the collapse of the Western empire in 476, it lost that hegemony.

The Roman ambition to regain total dominance has been a recurring and costly feature of church history ever since, reaching its zenith with the definition of papal infallibility and universal jurisdiction at Vatican I.

The bureaucracy endures. In the long run it gets its way.

Dr John O'Loughlin Kennedy is a retired economist and serial social entrepreneur. In 1968, he and his wife, Kay, founded the international relief and development organization Concern Worldwide, which now employs about 3,800 indigenous people on development work in 28 of the world's poorest countries.

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Date de dernière mise à jour : 20/10/2019