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vivre avec le chaos

L'état actuel du catholicisme romain : vivre avec le chaos

Dépasser "l'Église des certitudes" et embrasser "l'Église du chaos et de l'ordre"

J.P. Grayland

Nouvelle-Zélande

LCI

14 juin 2022

"Les stupides ont besoin d'ordre ; le génie maîtrise le chaos", disait Albert Einstein.

Une version plus sympathique pourrait être "Si la majorité a besoin d'un monde ordonné, il faut un génie pour maîtriser un monde chaotique".

Un génie peut voir au-delà des circonstances chaotiques en voyant l'ordre dans le chaos.

Le chaos définit les leaders.

Le chaos n'est pas nouveau. Il n'y a jamais eu d'ordre parfait sans chaos dans l’Homme, la politique ou l'Église. Une vie n'est jamais vécue sans chaos d'une manière ou d'une autre.

Le chaos s'abat sur nous de manière souvent inattendue.

Prenons l'exemple du peuple ukrainien. Un jour il y a la liberté, la sécurité et la prospérité et le lendemain il y a la guerre, la violence, la peur, l'asservissement et la misère. En l'espace de 24 heures, la vie passe de l'ordre au chaos, et les personnes passent du statut de maîtres de leur destin à celui de pions.

Lorsque nous rencontrons le chaos, nous rencontrons aussi la finitude, l'expérience d'être à la limite de notre capacité à contrôler ou même à comprendre ce qui se passe autour de nous.

Le chaos arrache l'ordre de nos vies, nous trébuchons sur le sens à chercher. Dans cette situation, il est facile d'avoir l'impression d'être seul et que Dieu a quitté le navire.

Là, nous sommes souvent à la recherche de certitudes et nous nous accrochons à de petits riens, comme l'interrupteur qui fonctionne, dans l'espoir de reprendre pied dans la certitude ultime que Dieu existe toujours et que notre vie n'est pas devenue une caricature dénuée de sens.

Lorsque le chaos frappe, nous cherchons une nouvelle vision du monde. Habituellement, nous la construisons sur la division, la dichotomie dans des oppositions comme le bien ou le mal, le bon ou le mauvais, le séculaire ou le religieux.

Pour que la dichotomie fonctionne, nous devons maintenir cette division. Ainsi, nous opposons le monde, le spirituel et le sacré au monde, le séculier et le profane.

Nous traitons ces mondes comme absolument opposés l'un à l'autre. Nous devons le faire parce que l'opposition maintient notre identité en tant que personne religieuse ou séculière. Nous savons que nous fonctionnons de cette manière lorsque nous utilisons le mot "ou". Les gens sont dedans ou dehors, bons ou mauvais, justes ou faux.

Le mot "ou" définit les relations lorsque nous avons oublié le mot "et". Le mot "et" nous aide à établir des relations non binaires : il a raison et il a tort ; ils sont bons et mauvais ; ils sont à l'intérieur et à l'extérieur.

Nous commençons à comprendre que nous ne vivons pas dans un monde ou une Église d'ordre ou de chaos absolus ; nous vivons dans un monde de chaos et d'ordre, dans une Église d'ordre et de chaos.

D'une Église de certitudes à une Église de chaos

Nous avions autrefois une Église de certitudes. C'était un lieu pour connaître la vérité et faire l'expérience de l'infinitude de Dieu. Le magistère, le rituel, les sacrements et le sacerdoce étaient des éléments de la structure de certitude qui créait la sainteté, la bonté, la morale et la récompense éternelle.

Le chaos mineur de la vie personnelle était transformé en certitude d'être en présence de Dieu en étant dans l'Église.

Dieu et l'Église étaient des entités connues ; déifiées, sacrées, saintes, non souillées, inerrantes, offrant un langage sacré et des symboles que l'on pouvait utiliser avec confiance parce que l'Église nous disait qu'il en était ainsi. Notre confiance provenait d'une structure organisationnelle qui nous gardait en sécurité.

Puis, l'Église qui avait promis de ne jamais changer a changé. Pour beaucoup, elle a changé "du jour au lendemain", effaçant les assurances et les interdictions qui encadraient et valorisaient les expressions de la foi, de la piété, de la prière et des sacrifices.

Je me souviens avoir interviewé des personnes en 1996 pour un livre sur les changements qui ont suivi Vatican II.

Elles avaient courageusement renoncé à la viande le vendredi, jeûné à partir de minuit le samedi, conçu plus d'enfants qu'elles ne le souhaitaient, assisté à la messe tous les dimanches et jours saints, obéi au clergé par crainte, et vécu dans la peur de la damnation et du péché qui pourraient les éloigner de leur ultime consolation, la vision béatifique.

Je me souviens très bien de mes parents et de leurs amis qui, dans les années 1970, se demandaient s'ils devaient assister au mariage dans le jardin de ceux qui avaient choisi de ne pas se marier dans le bâtiment de leur Église ou de ceux qui avaient choisi de ne pas se marier à l’église du tout. La seconde situation ne pouvait être tolérée ; la première suscitait questions et discussions.

Avec le temps, ces personnes assistent désormais aux mariages de leurs petits-enfants et arrière-petits-enfants en dehors de l'Église (dans les deux sens du terme) et le font naturellement. Elles assistent aux mariages de leurs petits-enfants homosexuels et accueillent la naissance de leurs petits-enfants conçus par fécondation in vitro sans, pour la plupart, penser à l'enseignement ou aux interdictions de l'Église. Beaucoup vivent comme seul catholique dans leur famille non pratiquante. Un nombre croissant d'entre elles sont enterrées par leurs enfants baptisés, non pratiquants et non intéressés par l'Église. Lors de leurs funérailles, nous constatons le fossé entre ce qu'ils voudraient sur le plan liturgique et ce que leurs enfants et petits-enfants sont prêts à faire. Ce que l'Église doit dire à propos de la mort et ce que la famille doit dire à ce sujet peut conduire à un conflit où nous rencontrons l’opposition entre comprendre et faire.

Nous présumons à juste titre que les personnes qui fréquentent l'Église ont à la fois la capacité et l'aptitude à pratiquer un culte liturgique, en utilisant les signes et les symboles de l'économie sacramentelle. Ce n'est pas toujours vrai. Dans les funérailles, nous rencontrons des personnes pour lesquelles l’existence simultanée de capacité et d'aptitude n'existe pas, nous devons donc nous adapter. Nous devons trouver le lien entre comprendre et faire. Bien que cela puisse ressembler au chaos, capacités et aptitudes sont liées ; nous recherchons la relation qui donne un sens et une voix aux significations de la mort que l'Église et les individus doivent exprimer.

C'est un rappel brutal que le baptême a une dimension anthropologique qui est trop facilement oubliée.

Dieu, l'enseignement et les enseignants sont devenus « non pertinents »

Au fil du temps et pour beaucoup dans les Églises occidentales du catholicisme, Dieu, les enseignements de l'Église et les enseignants sont devenus non pertinents.

La géographie de la non-pertinence de Dieu, des enseignements et des enseignants est complexe et liée à de nombreux mouvements au sein du christianisme occidental, de la pensée occidentale et du changement social. Il s'agit d'une crise de croyance dans le message, la structure qui le sous-tend et le messager.

Un correspondant, membre pratiquant de ma paroisse, a écrit en réponse à une homélie qui traitait du synode, du rôle des paroisses et du manque général de participation au processus synodal :

« J'ai effectivement participé à un groupe synodal à partir duquel nous avons soumis nos réflexions.

J'étais réticent parce que j'en ai assez de l'Église catholique (En particulier des prêtres et de leur sens du droit. J’ai le sentiment d'être noyé dans la mer du patriarcat), et je ne crois pas que le Synode apportera un quelconque changement ; cependant, j'ai contribué.

Je pense que beaucoup ne voient pas l'intérêt de consacrer de l'énergie à un énième groupe de réflexion qui mènera inévitablement nulle part.

L'introduction au Synode était incompréhensible. Il y avait un sentiment d'avertissement aux fidèles de ne pas s'aventurer sur des sujets qui pourraient entrer en conflit avec l'Esprit Saint. C'est pour le moins condescendant. Nous ne nous sommes jamais sentis libérés par un tel processus. »

La « non-pertinence » va bien au-delà de l'Église et l'Église en est la proie dans la société laïque.

Les racines de ce phénomène en Nouvelle-Zélande sont multiples, historiques et complexes.

Elles comprennent le désir historique de libérer la société et la politique des institutions de la religion occidentale et de redonner aux idées autochtones préchrétiennes de Dieu leur importance d'avant la colonisation.

L'expérience historique et sociale des Lumières occidentales a modifié le catholicisme occidental et remis en question l'Église des certitudes ; y faire face est une question essentielle pour les catholiques contemporains.

De la certitude au chaos et à l'ordre

Pour beaucoup, le processus synodal fait ressortir des griefs anciens et nouveaux.

Les griefs montrent que nous avons plus de travail pour retenir les membres, les recruter à nouveau, restaurer la confiance et ouvrir de nouvelles voies. Alors que certains veulent un retour à la certitude, beaucoup d'autres veulent savoir comment vivre une vie de foi, faire confiance à Dieu, tout en vivant dans un monde chaotique et une Église chaotique.

La mère d'un enfant homosexuel veut pouvoir assister au mariage de son enfant, aller à la messe le dimanche et se sentir confortée. Comment cela peut-il se faire sans changer de position dogmatique ?

La personne qui aime le missel de 1962 veut pouvoir aller à la messe et faire l'expérience de la transcendance de Dieu dans la liturgie par le silence et le chant. Comment cela peut-il se faire sans avoir des rites liturgiques et des théologies ecclésiales différentes ?

Le catholique migrant veut pratiquer sa forme culturelle de catholicisme dans sa nouvelle Église et la voir prise au sérieux. Comment cela peut-il se produire sans une communauté religieuse culturellement définie ?

L'antidote est de se rappeler que rien dans ce monde n'est parfait ; que personne n'est parfait ; que vous n'êtes pas parfait ! Au contraire, nous sommes appelés à vivre un catholicisme réaliste qui est certain de Dieu dans le chaos de sa communauté humaine et qui se réjouit d'un monde chaotique dans lequel Dieu est présent.

Nous, Église, devons vivre un engagement mature avec le monde, à partir d'une communauté qui croit, vit et prie dans le monde réel ; une Église adulte authentique ; un partenaire authentique de la conversation sacramentelle immergé dans un monde chaotique qui est aussi le terrain de jeu de Dieu.

Là où il y a de l'ordre dans le chaos, il y a du chaos dans l'ordre !

J.P. Grayland est un prêtre du diocèse catholique de Palmerston North en Nouvelle-Zélande. Son dernier livre s'intitule Liturgical Lockdown : Covid and the Absence of the Laity (Le confinement liturgique : la COVID et l’absence des laïcs), Te Hepara Pai, 2021.

Pour en savoir plus : https://international.la-croix.com/news/religion/living-with-the-chaos-the-current-state-of-roman-catholicism/16236

traduit par Jean-Paul 

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