Comme si de rien n'était ? - La Vie Editorial du 26 mars 2019

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Publié le 26/03/2019

Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction

 

Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes en novembre 2018. © Bruno LEVY/CIRIC

 

Un pacte tacite a longtemps lié les fidèles à l’institution. Légitimés depuis deux mille ans par la succession apostolique, les évêques avaient la charge de mener le peuple des baptisés. Les croyants s’en remettaient à eux pour gouverner l’Église catholique en bons pères de famille, si j’ose dire. Ils étaient réputés faire au mieux. Et la plupart des paroissiens ne songeaient pas à mettre le nez dans leurs affaires. L’Église fonctionnait de manière verticale, descendante et décentralisée. Verticale, parce que la consultation était pratiquement inexistante. Descendante, parce que le processus de décision était à sens unique. Et décentralisée, parce que chaque évêque était maître chez lui. Ce système a évolué avec le Concile, mais il n’a pas fondamentalement changé.

La fabrique du catholicisme se disloque.

Ce n’est plus tenable. L’autorité magistérielle, celle du pape, n’opère plus. L’échelon épiscopal est en déroute. Les prêtres sont en souffrance. Pas toujours, heureusement, mais ils se sentent parfois « livrés aux chiens », comme aurait dit Mitterrand. Quant aux fidèles, au moins en Occident, ils sont désemparés, déboussolés, voire en colère. Ils continuent à dire systématiquement le Credo, mais ils ne font plus automatiquement crédit. Ce qui permettait à ce corps de faire corps malgré de profondes divergences de vocation, de statut et de sensibilité est affecté, atteint, abîmé. La fabrique du catholicisme se disloque.

L’Église a subi un accident moteur. Elle traverse une crise proprement politique, une crise de confiance, une crise de gouvernance – une crise de confiance dans sa gouvernance. La situation est d’autant plus traumatisante que, par ailleurs, la plupart des catholiques savent leur dette de reconnaissance envers le clergé. Ils gardent, comme l’auteur de ces lignes, une conscience aiguë et émue de ce qui les unit et de ce qu’ils ont reçu. Et c’est bien le problème ! Ce qui les sidère, c’est peut-être ce décalage entre leur expérience positive de la foi et l’écho négatif du scandale public, dont le spectacle est désormais joué dans les médias du matin au soir. Comment réconcilier ces deux réalités, celle d’une vie chrétienne fructueuse et celle d’une gestion institutionnelle désastreuse, où personne ou presque ne rend de comptes, mais où tout le monde ou presque paye les pots cassés ?

Si l’on a bien compris Vatican II, l’Esprit ne parle pas seulement dans le silence d’un hémicycle épiscopal, mais aussi par la voix de fidèles

L’exemple même de ce décalage qui est aussi un déni, c’est la prochaine réunion des évêques de France, qui se tiendra la semaine prochaine et doit renouveler sa présidence. « Cette assemblée se déroulera à huis clos », ont appris les journalistes. Soit. Faisons « comme d’hab’ ». Nous ne prétendons pas ici qu’il faudrait nous demander quelle personne conviendrait, et nous proposer de voter. Ce n’est vraiment pas le sujet. Par ailleurs, nous n’ignorons pas que l’ecclésiologie ne se change pas sur le coup de l’émotion ou sous la pression de l’imprécation médiatique, de surcroît dans une Église qui reste universelle. 

Mais pour ne parler que de la France, quel processus préalable de consultation des fidèles dans les diocèses pour faire remonter leur parole, leur trouble et leur espérance, leurs conseils ? Si l’on a bien compris Vatican II, l’Esprit ne parle pas seulement dans le silence d’un hémicycle épiscopal, mais aussi par la voix de fidèles, a fortiori quand ils sont de bonne volonté. Alors, quelle écoute organisée et sincère à l’échelle nationale ? Quelle remontée de la parole des femmes, des prêtres, des scouts, des intellectuels, des catéchistes, des donateurs du denier du culte ? Au-delà des mesures prises sur la prévention des abus, quelle perspective pour se redonner une crédibilité ? Les évêques se choisissent leur président. Hier, c’était leur affaire. Aujourd’hui, c’est notre problème. Mais on ne nous a toujours rien demandé.

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Date de dernière mise à jour : 12/07/2021