Les théologiens(nes) allemand(e)s s’opposent aux évêques à propos de la réforme de l’Église.

 

Les théologiens veulent que les dirigeants catholiques ouvrent les yeux sur la précarité de la situation actuelle et organisent un débat sérieux sur ces questions brûlantes.

Christa Pongratz-Lippitt, Vienne

28 mars 2019

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Les théologiens allemands ont récemment été invités à parler à la hiérarchie catholique du pays de la crise des abus par les membres du clergé. Ils ont profité de cette rare occasion pour tancer plus de 60 évêques de se montrer trop lents à mettre en place des réformes de grande envergure.

Les théologiens ont eu toute une journée d’étude pour s’adresser à la Conférence épiscopale allemande lors de son assemblée de printemps du 11 au 14 mars dans le diocèse septentrional d’Osnabrück.

Ils n’ont pas mâché leurs mots en orientant les évêques vers les « défauts systémiques » de l’Église.

 

Réviser l’enseignement sur la sexualité humaine

Le professeur Eberhard Schockenhoff a déclaré aux évêques qu’il était impératif que l’Église adopte une attitude positive à l’égard de la sexualité humaine et abandonne le « point de vue empoisonné » de saint Augustin selon lequel le plaisir sexuel érotique est la conséquence du péché originel.

Cependant, le professeur de théologie morale de l’Université de Fribourg, âgé de 66 ans, a déclaré que la crise des abus n’était pas la raison pour laquelle la vision de l’Église sur la moralité sexuelle n’était plus crédible.

Il en a plutôt attribué la cause au fait que l’Église n’avait pas réussi à intégrer les connaissances scientifiques contemporaines dans son enseignement sur l’éthique sexuelle.

Schockenhoff a déclaré que l’Église ne devrait plus condamner l’utilisation de la contraception artificielle par les couples mariés en tant qu’acte hostile à la vie.

Il a déclaré que l’utilisation de contraceptifs devait être reconnue comme une décision de conscience basée sur le respect mutuel des époux dans l’intérêt du bien-être de leurs enfants.

Le théologien moral a déclaré que l’Église devait également reconnaître qu’il existait d’autres relations sexuelles légitimes que le mariage hétérosexuel.

Bien que le mariage à vie puisse être le meilleur cadre pour vivre sa sexualité, il a ajouté que ce n’était pas le seul.

L’Église doit reconnaître sans condition les partenariats de même sexe et cesser de « disqualifier leurs pratiques sexuelles comme immorales », a déclaré Schockenhof.

Il a cependant admis que la promiscuité et la multiplicité des relations soulèvent de sérieuses questions morales.

Schockenhoff a qualifié la vision positive de la sexualité et de la dimension érotique de l’amour exprimée par le pape François dans son exhortation apostolique, Amoris Laetitia, de « véritable lumière d’espoir ».

 

Le contrôle nécessaire du pouvoir clérical

Gregor Maria Hoff, qui enseigne la théologie fondamentale et œcuménique à l’Université de Salzbourg, a déclaré que la crise des abus avait précipité l’Église dans un « piège de la sacralisation », qui ne pourrait être résolu qu’en introduisant un système de contre-pouvoirs.

Le théologien, âgé de 55 ans, a déclaré qu’en tant qu’institution religieuse composée de prêtres considérés comme des représentants de Jésus-Christ, l’Église possède un pouvoir sacré basé sur la confiance.

Il a dit que c’était donc « fatal » et « désastreux » quand une telle confiance, et le pouvoir qui lui est lié, sont brisés, ce qui se produit lorsque des prêtres abusent sexuellement d’autrui.

Il a ajouté que la seule solution consiste pour l’Église à mettre en place un système d’équilibre des pouvoirs permettant de contrôler le pouvoir de l’intérieur et de l’extérieur de l’Église.

« C’est le seul moyen d’empêcher l’indépendance d’un pouvoir impie, qui croit toujours en sa sainteté même quand il l’abuse, » a souligné Hoff.

« Sinon, pourquoi certains des plus hauts représentants de l’Eglise, de tout le peuple, ont-ils refusé d’admettre leur culpabilité, par exemple le cardinal Hans Hermann Groer (archevêque de Vienne de 1986 à 1995), qui a catégoriquement refusé d’admettre sa culpabilité en public ou face aux victimes jusqu’à la fin (en 2003) ?  » a-t-il rajouté.

Hoff a conclu que les pouvoirs ne seraient plus concentrés et que « le pouvoir sacralisé serait dissous » si l’Église mettait en place un système de contre-pouvoirs.

 

La place des femmes dans l’église

« La question pour la conférence des évêques allemands est de savoir si elle veut simplement déléguer le pouvoir ou si elle veut que le peuple de Dieu participe de manière indépendante au pouvoir dans l’Église et qu’elle soit prête à rendre cela possible », a-t-il déclaré.

Dans une interview accordée à Kathpress le 15 mars, le professeur Hoff a déclaré que le processus de prise de décision de l’Église devait être plus transparent, affirmant que c’était le seul moyen de s’attaquer aux problèmes critiques.

Il s’agit notamment du partage du pouvoir, de l’enseignement de l’Église sur la moralité sexuelle, de la question du célibat sacerdotal et du « dernier élément, mais non des moindres, de la place des femmes dans une Eglise cléricale ». Il a ajouté que cette dernière question devrait être mise « à l’ordre du jour ».

Hoff a noté que le pape François exhortait continuellement l’Église à se rendre dans les périphéries, affirmant que cela ouvrait la voie à des expériences dans les Eglises locales. Il a ajouté que l’introduction du pouvoir participatif serait une telle expérience.

Julia Knop, professeure de théologie dogmatique à l’université d’Erfurt, était la plus critique des théologiennes qui se sont adressées aux évêques.

Elle les a accusés de s’être longtemps opposés à toute discussion sur le pouvoir dans l’Église, le célibat sacerdotal obligatoire et les enseignements sur la moralité sexuelle.

Knop, 42 ans, a déclaré que les évêques en avaient fait des sujets tabous pendant des années.

« Et je suppose que certains d’entre vous aimeraient poursuivre cette tradition », a-t-elle déclaré aux évêques stupéfaits.

La professeure Knop a déclaré qu’elle espérait que la journée d’étude du 13 mars avec la conférence épiscopale ferait enfin participer les évêques aux discussions en cours en dehors de leurs cercles.

« Vous occupez des postes à responsabilité dans l’Église et vous représentez une Église dont les défauts systémiques sont devenus évidents », a-t-elle averti.

 

Ouvrez vos yeux à la réalité

La théologienne a fait remarquer que les questions de pouvoir, de célibat et de moralité sexuelle ne sont pas nouvelles pour l’Église.

« Mais ce qui est nouveau, c’est que leur lien destructeur ne peut plus être nié », a-t-elle averti.

« Ils ne peuvent plus être considérés comme les sujets de prédilection du catholicisme de gauche. Ils ne peuvent tout simplement plus être tabous. Ce qui est nouveau, c’est la prise de conscience qu’une sérieuse autocorrection de l’Église est désormais impérative », a-t-elle déclaré.

Dans une interview quelques jours plus tard avec katholisch.de, le site officiel de l’Église catholique allemande, Knop expliqua qu’elle n’avait pas voulu donner un « coup de gueule » aux évêques.

Elle souhaitait plutôt leur ouvrir les yeux sur l’urgence de la situation actuelle et déclencher un débat sérieux sur ces questions brûlantes.

Elle a également défendu son point de vue selon lequel certains évêques souhaitaient continuer à couper toute discussion à l’intérieur de l’Église sur ces questions controversées et à les maintenir taboues.

« Ces derniers mois, certains évêques ont affirmé à plusieurs reprises qu’il ne fallait pas parler de dangers systémiques typiquement catholiques, mais qu’on devait considérer les abus cléricaux comme un phénomène existant dans la société en général », a-t-elle déclaré.

« Ceux qui parlent de la sorte maintiennent les tabous afin d’empêcher la réforme de l’Eglise », a déclaré Knop.

« Je trouve la situation actuelle de l’Eglise d’Allemagne vraiment dramatique. Beaucoup de gens pensent que l’Eglise est menacée de s’effondrer », a-t-elle déclaré.

Knop a ensuite formulé cette dernière remarque : « Pas un seul évêque ne s’est levé et n’est parti pendant mon allocution et aucun évêque ne m’a dit depuis que ce que j’avais dit était faux. »

 

 

 

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