Pour mieux situer le pouvoir dans l’Église - La Croix 31/12/2018

Gaston Pietri, prêtre du diocèse d’Ajaccio

La Croix 31 décembre 2018

 

Si démocratique qu’elle se veuille, une société n’est viable que si elle organise en son sein une juste répartition des pouvoirs. L’exercice même de ce pouvoir pourra être revêtu de modalités fort diverses. Longtemps ce fut en termes de pouvoir direct ou indirect que des confessions religieuses comme l’Église catholique ont conçu leur mode d’articulation avec le pouvoir politique. Lorsque Gambetta s’écriait « le cléricalisme, voilà l’ennemi », c’est que l’affranchissement du pouvoir ecclésial lui paraissait l’objectif principal du combat pour les libertés publiques.

Le terme « cléricalisme » n’est pas né du hasard. Il désigne ici, dans un contexte de société historiquement catholique, une situation qui a eu pour conséquence dans les esprits l’assimilation du pouvoir de l’Église à celui des clercs. Si dans une situation troublée, face à de graves abus manifestes, le pape François a dénoncé le cléricalisme, c’est en vertu d’une analogie entre ce que fut l’emprise de l’Église sur la société et ce qu’a été ou qui demeure dans l’Église elle-même le pouvoir des clercs. En effet, nous ne pouvons pas dissocier notre vision des rapports de l’Église avec la société du système des rapports entre clercs et fidèles laïcs dans l’Église. D’où le recours au cléricalisme pour définir bien des abus du pouvoir.

Lorsque Vatican II pose comme principe de vie en Église « l’égalité entre tous » (constitution Lumen gentium – n° 31), c’est en envisageant bien sûr la reconnaissance des différences entre fonctions. On parle de différences et en vertu du réflexe séculaire, on continue de penser aisément en termes de supériorité. Comme si la supériorité des uns sur les autres, en fait des clercs sur les laïcs, pouvait être une forme d’application de la supériorité du spirituel sur le temporel, qui en 1302, sous la plume du pape Boniface VIII (Unam sanctam), servait à légitimer la subordination du pouvoir politique à l’autorité ecclésiale. Les schémas ont changé, le langage s’est renouvelé. Mais jusqu’où ont pu aller non seulement les mentalités mais aussi les fonctionnements, pour que l’égalité puisse être vécue au sein des différences ? C’est la question qui est encore devant nous. Car l’ordination sacramentelle, qu’il fallait réaffirmer face à Luther, a servi et sert encore à légitimer une forme de supériorité par rapport à « l’être chrétien » qui demeure le fondement radical de l’existence des croyants en Christ.

Il n’est pas jusqu’au sacerdoce qui ne soit invoqué à la manière d’une tranquille confiscation par les clercs. Ce qui est reconnu aux chrétiens laïcs reste dans les esprits de l’ordre de la délégation par les clercs au lieu d’être résolument fondé sur le sacerdoce commun des baptisés. Difficile alors d’en exclure, jusqu’à la racine, ce sentiment de « domination » contre lequel l’Apôtre Pierre mettait en garde ceux qui pour le ministère avaient reçu l’imposition des mains (1re épître 5, 1-sq). La visée doit être l’exercice de notre commune responsabilité de l’unique sacerdoce du Christ (épître aux Hébreux 9, 11-14). Nous ne savons pas clairement la signifier.

Quand l’Église recouvrait la société en son ensemble, la différence entre le fait d’être chrétien et ne pas l’être s’est en quelque sorte effacé dans la société comme réalité visible et signifiante. Il semble que l’Église ait été amenée progressivement à remplacer cette différence par celle entre clercs et laïcs affichée à l’excès. Avec l’effet, socialement parlant, d’identifier l’Église à son clergé.

Tout ce qui devrait valoriser le sacerdoce commun, surtout pour les nouveaux venus à la foi et au baptême, mérite un effort de pédagogie pastorale vigoureux. Pendant toute une époque l’intention positive d’exprimer la vocation des chrétiens laïcs a donné naissance à la catégorie « laïcat ». Malheureusement le fait d’une sorte de bipartition, aux laïcs le monde, aux clercs l’Église, a laissé l’impression d’une Église demeurant trop l’Église du clergé. Les chrétiens sont ensemble responsables du service du dessein de Dieu sur le monde.

 

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