Les pièges de la synodalité :

Les pièges de la synodalité : "entendre" signifie-t-il "écouter" ?

Qu'on le veuille ou non, un processus synodal n’est pas un débat théologique, même de haut niveau

19 juillet 2021

Thomas O'Loughlin

Royaume-Uni

"Le chemin de la synodalité est le chemin que Dieu attend de l'Église du troisième millénaire", a dit le pape François.

Il n'est pas surprenant que, région après région, les évêques catholiques adoptent la synodalité. Les Allemands se sont engagés dans un chemin synodal, les Australiens dans un concile national, les Irlandais dans un synode, etc.

En l'espace de trois ou quatre ans la croissance de l'ecclésiologie et de la réception du sens du Synode des évêques -par rapport à l'attention que ces mêmes conférences épiscopales leur ont accordée dans les premières décennies qui ont suivi le Concile Vatican II (1962-65)- est remarquable. Espérons et prions pour que cet enthousiasme pour la synodalité apporte un renouveau à l'Église catholique, qu'il marque la fin de décennies de scandales et qu'il lui permette de laisser derrière elle le séduisant triomphalisme centralisateur du XIXe siècle. L'Église catholique s’adapte. Toutefois, elle est plus lente que de nombreux états à changer de vision.

Mais peut-être devrions-nous prêter plus d'attention aux voix conservatrices qui espèrent que tout cela ne sera qu'un feu de paille, à ceux qui murmurent - et pas silencieusement - qu'ils vont rester hors de ce pontificat et qu’ils considèrent cette "histoire de synodalité" comme du populisme. L'Église, nous rappellent-ils, n'est pas une démocratie.

Pour entamer un véritable dialogue, il faut être ouvert au changement

La raison pour laquelle il faut écouter ces voix est que, si de nombreux évêques ne partagent pas ces perspectives réactionnaires sur l'Église, très peu sont réellement prêts à accepter les implications des processus synodaux.

Il s'agit d'un élément fondamental de la communication humaine : si vous entrez dans un processus de dialogue et que vous n'acceptez pas la conclusion du débat, vous vous séparez de votre interlocuteur.

Lorsqu'un politicien dit "J'entends ce que vous dites", nous savons tous qu'il a consacré du temps à écouter vos griefs. Mais c'est tout ce que vous obtiendrez. Il n'y aura aucun changement, aucune action, aucune nouvelle politique. Vous n’avez été qu’écoutés, pas entendus.

En revanche, si je participe à un dialogue, je dois être prêt à changer d'avis, à modifier ma position. Ma participation au dialogue constitue une déclaration implicite : J'accepterai le changement s’il est le résultat du dialogue.

Écouter n'est pas la même chose qu'entendre. « Entendre » implique une ouverture au changement.

Si je vais acheter une bouilloire et que je discute avec le commerçant de mes besoins, le dialogue avec lui part du principe que je pourrais en apprendre davantage sur eux et choisir la bouilloire en fonction de ces nouvelles informations.

Dans différents pays du monde catholique imaginez maintenant des dialogues - on peut les appeler "consultations pastorales", "conciles nationaux" ou "synodes" - où l'on s'entende sur la direction à prendre. Que se passera-t-il ensuite ?

Si rien ne se passe et qu'il n'y a pas de changement, alors l'événement aura généré de la frustration. Les relations entre les partenaires seront plus tendues et plus amères, voire totalement rompues.

Que se passe-t-il si les évêques répondent qu'ils sont d'accord avec des propositions mais qu'ils disent qu’elles dépassent leur niveau de responsabilité et qu’elles doivent être soumises à Rome ? Une nouvelle faille pourrait alors s'ouvrir au sein de l'Église. Quelle sera leur position vis-à-vis d’un synode local envers lequel ils sont engagés en tant que ministres ou vis-à-vis de l'Église à laquelle ils croient devoir non seulement le respect mais l'obéissance ? « In fine » à qui se rapporte leur responsabilité première ?

Ces questions doivent être affrontées ouvertement, explicitement et honnêtement avant de devenir conflictuelles. Sont-elles si théorique ? Considérons la question des femmes dans l'Église.

Les femmes dans l'Église

Alors que certains évêques et théologiens rejettent les appels à l'admission des femmes au diaconat (sans parler de la prêtrise et de l’épiscopat) comme n'étant qu’une perversion de la théorie du genre, le fait demeure (que ces évêques aient raison ou tort) que certaines d’entre-elles considèrent cette question comme cruciale pour rester dans le catholicisme. Elles considèrent inacceptable un ministère ordonné exclusivement masculin car héritage d'un patriarcat discrédité et dépassé.

Ils ont des alliés. Récemment, j'ai écouté un débat au cours duquel un membre éminent de l’Église a souligné que "La volonté du Christ était que seuls des hommes soient ministres - c'est pourquoi il n'a choisi que des hommes comme apôtres". Et il a ajouté quelques citations de documents romains appropriés.

J'ai supposé que le débat ne porterait pas sur l'historicité des textes anciens tels que les évangiles, la confusion entourant le terme "apôtre" dans les premières Églises où les femmes étaient apôtres (cf. Rm 16, 7) ou l'herméneutique des précédents historiques dans le discours catholique. Hélas, j'ai été déçu.

Le débat s'est ainsi déroulé :

"Avez-vous des enfants ?"

" Oui, un fils et une fille "

" Prenez-vous les mêmes dispositions pour les deux dans l'éducation ?"

"Oui, ils sont tous les deux à l'université".

"Cela ne serait pas arrivé il y a 50 ans, et encore moins à l'époque de Jésus".

Le débat sur la non-admission des femmes au diaconat s'est arrêté là.

Un problème des temps anciens

On pourrait rétorquer que cette attitude à l'égard des femmes - à savoir que les filles doivent être traitées sur un pied d'égalité avec les fils en matière d'éducation - est "un problème des temps anciens" et qu'il faut l'écarter comme tel (c'est ce qu'a fait un prêtre de l'auditoire).

Mais voulons-nous appartenir à une Église qui ne veut pas que tous les enfants de la planète aient des chances égales en matière d'éducation ?

L'Église catholique veut-elle suivre les mouvements qui luttent contre les objectifs de développement durable des Nations unies ?

Points ne devant pas être discutés

Si les évêques, en tant que décideurs au sein de l'Église, ont d’ores et déjà décidé qu'il y a des domaines dans lesquels ils ne sont pas disposés à faire des changements ou qu'ils ne sont pas disposés à plaider en leur faveur auprès de Rome au nom de leurs sœurs et frères, alors il serait peut-être plus judicieux que ces "non-négociables" soient clairement énoncés avant le début d'un processus synodal.

Nous savons tous qu'il existe des lignes rouges dans les échanges politiques. En existe-t-il pour les hommes en rouge et en violet ?

La réalité est la suivante : si les lignes rouges ne sont pas clairement définies, on supposera que ces questions sont ouvertes au débat et donc au changement.

Qu'on le veuille ou non, un processus synodal n'est pas un débat, même un débat théologique de haut  niveau.

Il s'agit de changement.

Thomas O'Loughlin est prêtre du diocèse catholique d'Arundel et Brighton et professeur émérite de théologie historique à l'Université de Nottingham (Royaume-Uni). Son dernier livre est “Eating Together, Becoming One : Taking Up the Pope Francis's Call to Theologians”, “Manger ensemble, devenir un : l’appel de François aux théologiens” (Liturgical Press, 2019).

Pour en savoir plus : https://international.la-croix.com/news/religion/the-minefield-of-synodality-does-hearing-mean-listening/14672?utm_source=NewsLetter&utm_medium=Email&utm_campaign=20210722_mailjet

The minefield of synodality: does "hearing" mean "listening"?

Like it or not, a synodal process is not about debate, even elevated theological debate

July 19, 2021

By Thomas O'Loughlin

United Kingdom

"The path of synodality is the path that God expects from the Church of the third millennium," Pope Francis has said.

And so it is not surprising that in region after region Catholic bishops are embracing synodality.

The Germans have embarked on a synodal path, the Australians a plenary council, the Irish a synod … and so it goes on and on.

This shows remarkable growth in ecclesiology in a matter of three of four years in comparison with the amount of attention that these same conferences of bishops devoted to it – or to the significance of the Synod of Bishops – in the first decades after the Second Vatican Council (1962-65).Let us hope and pray that this new enthusiasm for synodality will bring a renewal to the Catholic Church, mark an end to the decades of scandal following scandal, and also allow the Church to put behind it the centralist triumphalism that was so attractive in the nineteenth century.

In an age of imperialism and colonialism, the Catholic Church took on the contemporary dress. However, it has been slower than many states at changing its fashion.

Perhaps we should pay more attention to those conservative voices who hope this will all be a flash in the pan, those who murmur -- none too silently -- that they will just sit out this pontificate and who see this whole "synodality thing" as simply populism. The Church, they remind us, is not a democracy!

To enter true dialogue, one must be open to change

The reason to listen to these voices is that, while many bishops do not share those reactionary perspectives on the Church, very few are actually prepared to accept the implications of synodal processes.

There is a basic fact of human communication at issue here: if you enter a process of dialogue, and then do not accept the conclusion arrived at within the debate, then you lose that dialogue partner.

When a politician says, "I hear what you are saying", we all know that time is being given to a gripe, but that is all you will get. There will be no change, no action, no new policy. You have been "given a hearing" – that's your lot!

By contrast, if I enter a dialogue I have to be open to having my views changed, my position altered.

And, if the dialogue relates to activity, then my being in the dialogue makes an implicit statement: I shall accept change if that is the result of the dialogue.

Listening is not the same as hearing. Listening involves openness to change.

If I go to buy a kettle and discuss my exact needs for my new kettle with the shopkeeper, there is an assumption in the dialogue that I might learn more about my needs for a particular kettle and then act on that new information.

Now imagine a series of dialogues in country after country around the Catholic world – they may be called "pastoral consultations" or "plenary councils" or "synods" – and there is agreement on where the argument leads. What happens next?

If nothing happens and there is no change, then the event has actually generated frustration and bad-faith. The relationships between the partners will be more fraught and embittered, if not entirely broken.

What if the bishops reply that they agree with the plans, but say it is "above their pay grade" and issue must go to Rome? Then while their dialogue will continue, a new fissure may be in the course of being opened within the larger Church.

Where then will these men stand? With the local synod to whom they are committed as ministers? Or to the larger Church to which bishops believe they owe not only respect but obedience? To where does their primary responsibility relate?

We may wish that these questions will not be tested in practice, but they should be faced openly, explicitly, and honestly.

This might seem all very theoretical but consider the issue of women in the Church.

Women within the Church

While some bishops and theologians dismiss calls for women to be admitted to the ministry of deacon (not to mention the "higher" orders) as no more than a perverse example of "gender theory", the fact remains (whether those bishops are right or wrong) that there are some women in the Church who see this matter as crucial to their continuance within Catholicism.

They see an all-male ordained ministry as simply unacceptable and a legacy of a discredited, outdated patriarchy.

Moreover, they have allies!

Recently, I listened to a debate where a loyal son of the Church pointed out that "the will of Christ was that men alone should be ministers – that is why he chose only men as apostles". And he added some quotes from the appropriate Vatican documents.

I assumed the debate would not turn on the historicity of early texts such as the gospels, the confusion surrounding the term "apostle" in the early Churches where women were apostles (cf. Rom 16:7) or the hermeneutics of historical precedents (if they be "precedents") within Catholic discourse.

Alas, I was disappointed!

The debate went like this:"Do you have children?"

"Yes – a son and a daughter," he replied."

Are you making equal provision for both in education?"

"Yes – both are at university," he said with an obvious pride.

"That would not have happened 50 years ago, much less in the time of Jesus."

That debate on women's non-admittance to the diaconate stopped there and then.

A First World problem

It might be replied that this sort of attitude to women – that daughters should be treated equally as sons in education – is very much "a First World problem" and dismissed as such (one presbyter in the audience at that debate did just that).But – do we really want to belong to a Church that does not want all the children upon the planet to have equal opportunities in education?

Does the Catholic Church want to be aligned with those movements fighting these UN Sustainable Development Goals?

Items not for discussion

If bishops as decision-makers within the Church have already decided that there are areas where they are not willing to make changes, or that they are not willing on behalf of their sisters and brothers advocate changes with Rome, then it might be a better policy if these "non-negotiables" were clearly laid out before a synodal process begins.

We are all familiar with the notion that there are "red lines" in political exchanges. But are there red lines for the men in red and purple?

The stark fact is this: if these red lines are not set out clearly, there will be an implicit assumption that these questions are open for debate and so for change.

Like it or not, a synodal process is not about debate, even elevated theological debate.

It is about change.

Thomas O'Loughlin is a presbyter of the Catholic Diocese of Arundel and Brighton and professor-emeritus of historical theology at the University of Nottingham (UK). His latest book is Eating Together, Becoming One: Taking Up Pope Francis's Call to Theologians (Liturgical Press, 2019).

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