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La difficile bataille

La difficile bataille du pape pour réformer la curie romaine

Un regard sur les deux derniers siècles

explique pourquoi il est si compliqué de réformer le Vatican

Massimo Faggioli

5 janvier 2022

États-Unis

 

Il est devenu habituel pour les papes de réunir les hauts fonctionnaires de la curie romaine, chaque année juste avant Noël, pour échanger les vœux de fin d'année.

Depuis 2014 les commentateurs attendent cette rencontre annuelle avec une curiosité accrue, tandis que les dirigeants et le personnel des bureaux du Vatican s’y préparent avec une appréhension croissante. En effet, cette année-là, le pape François a profité de cette prise de parole pour mettre en garde ses principaux collaborateurs contre le risque de devenir la proie d'une longue liste de ce qu'il a appelé les "maladies curiales".

Ce discours a été prononcé au cours de la deuxième année de son pontificat, alors que l'on espérait vivement que les efforts du pape jésuite pour réformer la curie romaine allaient bon train.

Mais après qu'un projet de Praedicate Evangelium - la constitution apostolique pour mettre en œuvre la réforme - ait été diffusé en 2019, rien n’a bougé. C’est le silence depuis et il s’en suit une   baisse sensible de l’attente des baptisés.

Des publications récentes disent que François la publiera dans les six premiers mois de cette année. Pourtant, le pape n'en a fait aucune mention lors de son discours d’avant Noël aux fonctionnaires du Vatican.

Il a mis l'accent sur l'humilité et la synodalité, exhortant une fois de plus ses auditeurs à devenir moins bureaucratiques, moins axés sur leurs carrières et à ressembler davantage à une communauté chrétienne.

La « grande mauvaise » curie romaine

La curie romaine, qui se comporte comme la bureaucratie centrale de l'Église catholique, a été la cible de polémiques et de caricatures depuis ce qui semble être la nuit des temps.

Elle est attaquée depuis longtemps pour être corrompue, pas assez pastorale, détachée de l'expérience vécue des catholiques et pour établir des règles qu’elle ne s’applique pas à elle-même.

C'est le cas depuis l'époque de Dante, au Moyen Âge, et plus tard, lorsque le pape et sa Curie se trouvaient en Avignon (France) et que l'humaniste italien Pétrarque dépeignait les cardinaux comme étant de connivence avec Belzébuth. Cette perception négative fait partie de l’image de la curie romaine. Elle tient d'une certaine idée de Rome comme ville sacrée (C’était le cas pour Dante et Pétrarque)

Mais à certaines époques de l'histoire de l'Église, comme celle d'aujourd'hui, la Curie est une cible privilégiée dans le discours ecclésial et théologique.

Lors du conclave de 2013 qui a suivi la démission de Benoît XVI, la polémique contre la Curie (et en particulier contre les Italiens qui s'y trouvaient) s'est durcie, venant tant de la gauche que de la droite ecclésiales et pour différentes raisons.

La situation est, à certains égards, similaire à ce qui s'est passé pendant le Concile Vatican II (1962-65), lorsque la majorité réformiste a cherché à remanier en profondeur la curie romaine.

Paul VI l’a empêché et a préparé sa propre réforme avec la constitution apostolique de 1967 Regimini Ecclesiae universae [1] (Le gouvernement de l’Église universelle). Dans le même temps il a fait tout son possible pour rassurer les fonctionnaires de la Curie, dont il dépendait pour sa gouvernance quotidienne de l'Église, en leur disant qu'aucune réforme ne serait mise en œuvre sans leur participation au projet.

Deux papes réformateurs, deux styles très différents

Il est intéressant de comparer le discours soigneusement codé qu'il a prononcé le 29 septembre 1963 au début de la deuxième session du concile Vatican II aux discours que François a adressés à la curie romaine, à commencer par celui de Noël 2014. Les discours de Paul VI sur la réforme de l'Église visaient à rassurer le personnel et les élites de la Curie et à obtenir leur collaboration loyale. Ceux émis par François semblent viser le contraire.

Il existe de nombreuses similitudes entre Giovanni Battista Montini et Jorge Mario Bergoglio, mais pas sur cette question.

Paul VI avait le sens de la réforme : il avait un plan clair pour réformer la Curie et il l'a réalisé en seulement deux ans après la fin de Vatican II. Le pape italien était l'âme d'un groupe cohérent, la majorité réformiste du Concile, qui est devenu la majeure partie de la classe dirigeante de l'Église au début de la période postconciliaire.

Grâce à lui, la curie romaine devint moins italienne, plus internationale et plus sensible aux relations entre l'Église et la culture moderne. Au contraire, François n'a fait venir aucun de ses compatriotes à Rome et n'a nommé aucun Argentin aux postes les plus élevés du Vatican tenus par des évêques et des cardinaux.

Tout ce sur quoi il peut compter, ce sont les jésuites et quelques latino-américains vivant à Rome, mais il n'a pas d'équipe rapprochée, pas même une équipe de « rivaux ».

Le Conseil des cardinaux

Nous ne savons pas si, à l’issue de la réforme, la curie romaine sera sensiblement différente de celle que nous connaissons actuellement.

Le Conseil des cardinaux (Que François a créé quelques mois seulement après son élection à la papauté) a commencé à travailler sérieusement sur ce projet en 2014 et la seule chose qui a été mise noir sur blanc est le projet 2019 de constitution apostolique (Cf. ci-dessus). Il a été accueilli par des commentaires critiques et a été rappelé pour une nouvelle rédaction.

Ce que nous savons pour l'instant, c'est que la réforme financière, qui a impliqué des changements dans plusieurs services, a été limitée (laissant de côté la querelle entre les cardinaux George Pell et Angelo Becciu et le procès pénal en cours contre ce dernier).

Le pape a fusionné un certain nombre de ministères (les dicastères dans le jargon du Vatican), comme cela se produit périodiquement dans les gouvernements. Il est possible qu'une autre grande fusion concerne les dicastères de la Propaganda Fide (propagation de la foi), de la Nouvelle Évangélisation, de l'Éducation et de la Culture.

Le Conseil des Cardinaux - qui était à l'origine connu sous le nom de C8 (huit membres), s'est développé pour devenir le C9 et est maintenant revenu à C7 - a perdu beaucoup de son attrait initial.

La décision de François de créer un conseil privé pour l'aider à gouverner a été considérée comme révolutionnaire et a brisé un tabou dans l'histoire des relations strictement monogames entre les papes et les membres de la Curie.

La manière dont la nouvelle constitution apostolique abordera certaines questions clés en dira long sur la conception que le pape argentin a de l'avenir de l'organe administratif central de l'Église.

Qu'adviendra-t-il des congrégations ?

La première série de questions concerne les congrégations historiques de la curie romaine.

Par exemple, la Congrégation pour la doctrine de la foi conservera-t-elle le rôle suprême qui est le sien depuis le XVIe siècle, ou deviendra-t-elle l'égale des autres, comme cela semble se produire pendant le pontificat de François ?

Qu'adviendra-t-il de la puissante Congrégation pour l'évangélisation des peuples - communément appelée Propaganda Fide - maintenant que toute l'Église catholique est reconnue comme un territoire missionnaire et a besoin d'être (ré)évangélisée ?

Y aura-t-il un rééquilibrage entre les congrégations des évêques, du clergé, des religieux et des laïcs à la lumière du nouvel accent mis sur la synodalité ?

Dans cette perspective, François conservera-t-il le système basé sur des dicastères permanents ou reviendra-t-il au modèle précédent de gouvernement dit consistorial, centré sur des comités ad hoc ?

La Secrétairerie d'État et les dicastères nouvellement créés

Une deuxième série de questions concerne les dicastères qui ont été créés récemment ou dont le rôle est devenu central au cours des deux derniers siècles.

C'est le cas de la Secrétairerie d'État. Continuera-t-elle à être un super-dicastère coordonnant les autres (comme le voulait Paul VI) ? Ou bien la tâche de coordination sera-t-elle assumée par d'autres institutions, peut-être le Conseil des cardinaux ?

Une troisième série de questions concerne les dicastères ou organes que François a créés, tels que le Secrétariat et le Conseil pour l'économie et le Dicastère pour le développement humain (qui a maintenant une direction intérimaire, après que François ait récemment accepté la démission du Cardinal Peter Turkson à la fin de son mandat de cinq ans) ?

Dans une Église synodale, quelle sera la relation entre le Synode des évêques et la curie romaine ?

Plus important encore : la Commission pontificale pour la protection des mineurs (ou un dicastère nouvellement nommé avec le même rôle) recevra-t-elle un statut, un personnel et des ressources adéquats pour affirmer son rôle dans les relations avec les autres dicastères de la Curie ?

Le centre et les périphéries

Enfin, une quatrième question concerne le rôle du Vatican en tant que centre d'une Église qui est désormais orientée vers les périphéries.

Le désordre mondial, ecclésial et politique actuel a renforcé le besoin, à la fois pratique et symbolique, d'un centre solide pour l'Église catholique.

Le catholicisme est plus grand et plus vaste que la curie romaine, mais je crois qu'un centre à Rome est toujours essentiel. Non pas pour préserver des traditions ecclésiastiques éphémères mais pour garder les périphéries sous le radar de l’ensemble de l'Église.

Au cours des dix derniers siècles, la curie romaine a été un producteur d'idées et de culture - pas seulement dans le domaine des arts - qui a permis au catholicisme de rester globalement uni. Ceci est souvent ignoré par ceux - de gauche comme de droite - qui surestiment les aspects autoritaires et normatifs dans l'ordre ecclésial.

Les difficultés persistantes dans la rédaction de la constitution apostolique pour une curie romaine réformée doivent être considérées dans le contexte des deux derniers siècles.

Les grands changements arrivent indirectement par le biais des circonstances historiques

Au cours des premières décennies du XIXe siècle, différentes tentatives ont été faites pour introduire des réformes curiales radicales pendant les années profondément traumatisantes qui ont suivi la Révolution française (1789-99) et l'émergence de Napoléon.

Il y eut l'enlèvement de Pie VI par les français et sa mort alors qu’il était encore entre leurs mains, le conclave de 1800 à Venise et les deux occupations françaises de Rome. Tout a contribué à paralyser ou à déplacer le personnel et les archives de la Curie.

La véritable réforme de la curie romaine qui a fait date, n'a eu lieu qu'en 1870. Mais pas par le fait du pape d’alors ou par celui du Concile Vatican I (1869-70). La réforme s'est produite indirectement avec l'effondrement des États pontificaux. La tâche de la Curie s'en est trouvée complètement modifiée. Elle n'était plus chargée de gouverner un royaume et l’Église qui lui était rattachée.

Elle se trouve désormais au centre d'une Église mondiale en voie de globalisation. L'exaltation de la papauté par les dogmes sur la primauté et l'infaillibilité approuvés par Vatican I, sont aujourd’hui en question.

Le plan de réforme de François nous aide à comprendre que la forme de la curie romaine n'est pas décidée par la Curie elle-même ou par les papes. Elle est le fruit des conditions historiques externes qui modifient les relations entre la papauté et l'ordre politique mondial.

Le pape François est une anomalie

Au cours des deux derniers siècles, nous avons assisté à deux changements majeurs.

Le premier s'est produit entre le 19e et le 20e siècle, lorsque la Curie est passée du service à une papauté insérée dans un système impérial à une Curie au service d'une papauté opérant dans un système d'États-nations.

Aujourd'hui, au XXIe siècle, il s'agit de réimaginer une curie romaine qui laisse derrière elle l'ordre politique du XXe siècle pour une papauté insérée dans un monde confronté à la crise de la mondialisation.

Il s'agit de faire face à la crise des États-nations et des organisations internationales qui met en avant les nouveaux réseaux transnationaux, l'ethno-nationalisme et les très grandes entreprises. C'est une crise de la démocratie au profit de l'État administratif et du capitalisme mondialisé.

Ce qui est clair, c'est que la tentative de chaque pape de réformer la curie de Rome est, dans une large mesure, fondée sur l’expérience antérieure de ses relations avec cette structure bureaucratique centrale.

Paul VI voulait clairement moderniser la curie de Pie XII dont il avait été un acteur clé. Son modèle était un mélange de Pacelli et de Vatican II.

Mais François est une anomalie à bien des égards. Il n'est ni un Italien, ni un prêtre diocésain mais un jésuite sans réseau dans la curie romaine. Il est plus proche d'une « Église mouvement » et de l’action d’un « prêtre de rue ».

Ses relations avec la bureaucratie du Vatican en tant qu'archevêque étaient plus distantes que celles de ses prédécesseurs du siècle dernier.

Les tendances anti-curie du pape François sont bien connues. Mais il est encore difficile de savoir quel type de modèle il envisage pour la curie romaine, ce dont il s'inspire et ce qu'il vise.

Traduit par J.P. 

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Pour en savoir plus : https://international.la-croix.com/news/signs-of-the-times/the-popes-uphill-battle-to-reform-the-roman-curia/15436?utm_source=NewsLetter&utm_medium=Email&utm_campaign=06Jan22mailjet

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