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Pseudo religion du "F"

"La pseudo-religion du F" : un exemple de pathologie religieuse

Pour le théologien tchèque Tomáš Halík, les croyants ont un rôle urgent à jouer

dans la lutte contre le fondamentalisme et le fanatisme

Tomáš Halík    République tchèque    18 novembre 2020

 

Qu'est-ce que les groupes suivants ont en commun ?

                    - Les terroristes promulguant des slogans religieux,

                    - Les partisans chrétiens de Donald Trump,

                    - Les radicaux pro-vie,

                    - Les adversaires catholiques du pape François qui lui envoient des corrections « filiales »,

                    - Les groupes prétendant défendre l'homme blanc hétérosexuel,

                    - Jarosław Kaczyński cherchant à faire de la Pologne un pays catholique autoritaire.

 

Examinons-les de plus près.

Les terroristes affirmant leur allégeance à l'Islam et proclamant des slogans religieux sont l'exemple le plus flagrant, le plus connu et le plus dangereux de pathologie religieuse.

Ils ignorent totalement les principes éthiques de l'Islam, sortant de leur contexte des citations de ses écritures sacrées et en abusant pour diffuser la haine et la violence.

Trump et les radicaux pro-vie

Les chrétiens qui soutiennent Donald Trump ignorent totalement le fait qu'il est un politicien populiste immoral dont toute la vie personnelle, les actions et le comportement contredisent les principes du christianisme. Se contentant de sa rhétorique anti-avortement, ils sont prêts à le suivre et à le soutenir aveuglément alors qu’aucun politicien n'est un messie.

Quand des hommes politiques se prétendent sauveurs une tâche prophétique de l'Église est de leur opposer une critique constructive et de désacraliser leurs personnages. L'Église doit  nous rappeler constamment qu'ils ne sont que des êtres humains avec leurs forces et leurs faiblesses.

Certains radicaux pro-vie ignorent que la criminalisation de l'avortement n'est ni la seule, ni la plus appropriée des manières de protéger la vie des enfants à naître. Par exemple, le durcissement de la loi actuelle sur l'avortement en Pologne va probablement conduire à un tourisme de l'avortement des femmes polonaises vers les pays voisins ainsi qu'à des avortements dangereux à domicile. La législation en vigueur dans la plupart des pays européens n'oblige personne à se faire avorter.

Le courage des parents qui sont prêts à accepter un fœtus souffrant de graves problèmes de santé et à s'occuper en permanence d'un enfant gravement handicapé représente un acte de bravoure morale admirable. Néanmoins, personne ne peut être forcé à la bravoure, surtout pas par des moralisateurs qui « lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes alors qu’eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt » (Mt 23, 4).

Les défenseurs de la vie à naître devraient plutôt se concentrer sur l'assistance pratique aux mères célibataires et aux familles ayant des enfants gravement handicapés.

Les critiques du pape et les défenseurs de l'homme blanc hétérosexuel

Les adversaires du pape François qui lui envoient des corrections « filiales » ne sont clairement pas des terroristes ou des fanatiques religieux. Ils comptent souvent parmi des chrétiens bons et justes. Ils se préoccupent de l'identité de la foi catholique interprétée comme un système de déclarations doctrinales immuable et hors de l’histoire. Ce système est cohérent en soi, mais s'effondre comme un château de cartes lorsqu'il est exposé à la réalité de la vie. Ces personnes adhèrent au type de religion légaliste auquel Jésus s'est opposé toute sa vie.

Les bandes de guérilla fascistes qui cherchent à défendre l'homme blanc hétérosexuel, s'inspirent de la tradition du Ku Klux Klan attaquant noirs, juifs et catholiques. Aujourd'hui, ces groupes attisent la haine, en particulier contre les homosexuels et les migrants. Leur idéologie est basée sur la xénophobie et la peur de la différence culturelle. Ils aiment se considérer comme les défenseurs de l'Occident chrétien. Jusqu'à présent, leur activité est restée, dans l'ensemble, au niveau de l'agressivité verbale (principalement sur les médias sociaux mais aussi lors de rassemblements). Cependant elles pourraient recourir à la violence et à des actions d'activités terroristes à la manière de l'extrémisme islamiste, car elles partagent plusieurs traits psychologiques.

Leur présence est tragicomique dans les pays post-communistes, notamment en République tchèque, où le mâle blanc hétérosexuel est avant tout menacé par l'obésité, comme l'a fait remarquer un journaliste tchèque.

Rêves d'une nation catholique autoritaire

Jarosław Kaczyński et sa tentative de transformer la Pologne en un État catholique autoritaire est un exemple dangereux d'alliance entre religion et politique. Il contribue à la sécularisation radicale de la société polonaise et jette le discrédit sur le christianisme aux yeux des jeunes et de la population éduquée.

Utilisant la fiction d'un "tsunami d'homosexualisme pire que le communisme", certains évêques ont fini par créer un démon, en lui insufflant l'énergie de leur peur et en la libérant dans la société. Il est toujours dangereux de créer des démons plutôt que de favoriser le dialogue et la compréhension.

Les efforts visant à former une alliance d'évêques conservateurs des pays de Visegrad[1] préconisée par Steve Bannon, un ancien conseiller de Donald Trump (qui purge probablement encore une peine de prison pour fraude), discréditent l'Église dans cette région, en remplaçant le christianisme par une idéologie politique d'extrême droite. Ils tentent de tirer parti de l'affinité de certains catholiques pour les régimes autoritaires (l'État slovaque pendant la Seconde Guerre mondiale ou l'Espagne franquiste et d’autres encore). Historiquement, l'Église a toujours payé cher une telle dérive.

L'Église polonaise doit faire face à une vague de scandales et de réactions à la politique de Kaczyński. Cette vague est peut-être cathartique, mais cette Eglise est agonisante. Au fond, il y a la nécessité de séparer le catholicisme du nationalisme. Cette alliance a des racines historiques profondes et a sans aucun doute contribué à préserver l'identité nationale polonaise dans le passé.

Dans le changement de paradigme civilisationnel en cours, il est nécessaire pour la survie du christianisme [polonais] d'aujourd'hui de dépasser les icônes de l’identité polonaise et de redécouvrir l'évangile et la foi libérés du nationalisme et de la tutelle politique.

Les mots en « F » : une pseudo-religion fondamentaliste et fanatique

Je suggère que tous ces phénomènes puissent être regroupés sous l’appellation de "pseudo-religion du F" (« F » pour fondamentalisme et fanatisme).

Malgré toutes leurs différences, ces groupes partagent un état d'esprit similaire, caractérisé par un usage sélectif de la rhétorique religieuse. Il contredit le noyau éthique des religions, a une aversion pour l’approche historique et herméneutique, promeut l'intolérance (ce sentiment de posséder la vérité ultime) et fusionne la religion avec les intérêts de pouvoir de certains cercles politiques.

Une approche sélective des sources religieuses et l'exculturation de la religion (la perte du contexte original) font de ce phénomène une religion civile, laïque et politique. Si son contenu est secondaire, sa charge émotionnelle représente le point de focalisation.

Je dois souligner que la "pseudo-religion du F" est une construction théorique similaire aux quatre catégories de types idéaux[2] de Max Weber. Son but est d'aider à trouver les caractéristiques communes de phénomènes apparemment séparés afin de mieux les comprendre. Cela ne signifie pas que chaque caractéristique peut être retrouvée dans tous les phénomènes, ou que les caractéristiques sont présentes avec la même intensité. Je propose cette approche à titre d'hypothèse.

Les pépinières de la « pseudo-religion du F »

Ce phénomène de la "pseudo-religion du F" doit être exposé à une recherche empirique, psychologique, sociologique, théologique et historico-culturelle qui examinera sérieusement ses causes et ses effets.

La "pseudo-religion du F" parasite les religions, bloquant leur potentiel éthique et développant leur composante létale -celle qui dort dans leur face cachée et qui est conservée dans les vestiges des abus religieux des puissants du passé-. Pour contrer ces pathologies nous devons analyser quels types de religiosité sont particulièrement sujets à ces abus et où chercher le potentiel de "l'immunité morale" au sein des traditions religieuses.

Par exemple, l'impact sur la théologie, jusqu'ici très faible, des méthodes historico-critiques appliquées aux écritures sacrées de l’islam rend ce dernier facilement utilisable par la "pseudo-religion du F". Il en est de même pour le fondamentalisme chrétien. Bien entendu, pour que le fondamentalisme se transforme en fanatisme et le fanatisme en terrorisme, plusieurs conditions sociales sont nécessaires.

L'Évangile, Fratelli tutti et autres moyens pour contrer la "pseudo-religion du F

Face à la "pseudo-religion du mot F", il est indispensable de renforcer l’alliance de personnes aux vues et croyances diverses, en particulier celles qui cherchent à offrir une alternative positive à la religion, pour surmonter l'égoïsme et les instincts (en particulier l'instinct agressif), vaincre la peur et nourrir la solidarité, la justice et la coexistence pacifique.

L'encyclique Fratelli tutti du pape François apporte des impulsions importantes à cet objectif.

Les théologiens chrétiens doivent réfléchir à une théologie et à une spiritualité pour cette « écoumène élargie »[3] (ou, pour reprendre les termes de Fratelli tutti, une "nouvelle fraternité").

Dans les pays où la "pseudo-religion du F" a déjà pris fermement pied dans les structures ecclésiales traditionnelles et où une crise profonde de confiance dans l'Église émerge, il est nécessaire de revenir aux racines de l'Évangile, en initiant une vraie "nouvelle évangélisation". Dans les pays fortement sécularisés comme la République tchèque, il semble que l'Église n'ait rien à y perdre.

Il faut se dissocier clairement des expressions de la "pseudo-religion du F" qui éloignent le public critique de l'Église. En même temps, il faut attirer et retenir les personnes qui ont soif de réponses simples à des questions compliquées, et de certitudes inébranlables.

Autres manières de vivre la foi chrétienne de manière intelligente et intelligible

Il est nécessaire de mettre en évidence des exemples alternatifs de groupes chrétiens qui recherchent véritablement une approche intelligente et intelligible de la foi chrétienne, qui encouragent la vie spirituelle personnelle (par le biais d'une approche contemplative de la réalité), qui promeuvent la participation active des chrétiens dans la société civile, les initiatives culturelles, éducatives et écologiques et qui s'engagent à renforcer l'œcuménisme et le dialogue interreligieux et interculturel.

Les chrétiens doivent être présents aux côtés de ceux qui luttent pour renforcer l'immunité de la société contre le populisme, les fausses nouvelles et les théories du complot. (Ce sont souvent les adeptes de la "pseudo-religion du F" qui sont les plus fervents partisans de cette pathologie sociale).

Dieu merci, il existe des communautés œcuméniques ouvertes en République tchèque et dans le monde, qui peuvent devenir une source d'espoir, même si les institutions ecclésiales établies - comme le système administratif des paroisses - s'effondrent. Ce qui sera décisif, c'est l’esprit d’ouverture et la formation des responsables, conjugué aux initiatives des laïcs.

Pour chercher des réponses adéquates aux signes des temps, nous avons besoin d’un débat totalement libre et ouvert dans nos Églises ; un exemple en est le chemin synodal dans l'Église catholique allemande.

Ce qui se passe dans l'environnement chrétien affecte de manière significative la vie de la société dans son ensemble parce que les chrétiens en représentent une part irremplaçable, indépendamment de sa représentation numérique.

Aujourd'hui, nous sommes à la croisée des chemins.

Tomáš Halík (né en 1948) est un théologien et philosophe tchèque qui enseigne à l'Université Charles de Prague. Dissident pendant l'ère communiste, il a été clandestinement ordonné prêtre catholique en 1978. Il est l'auteur de nombreux livres et essais qui ont été largement publiés et récompensés. En 2014, il a reçu le prix Templeton[4] pour son travail à l'intersection de la science et de la religion.


[1] Ville hongroise qui a donné son nom au groupe V4 : Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie

[2] Une catégorie qui aide à comprendre ou théoriser certains phénomènes, sans prétendre que les caractéristiques de ce type se retrouvent toujours et parfaitement dans les phénomènes observés.

[3] Humanité élargie

[4] Fondation John Templeton (1912-2008), Philadelphie, USA

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