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Küng et Ratzinger :

Küng et Ratzinger :

des chemins opposés mais complémentaires vers Jésus

Les approches théologiques contrastées du théologien suisse récemment décédé et du pape retraité.

 

Hendro Munsterman

 

Pendant des décennies, Joseph Ratzinger et son ancien collègue Hans Küng ont été symboliquement opposés au sein de la théologie catholique romaine. Dans les médias, l'accent était mis sur les idées de Küng concernant la réforme de l'Église et sur l'opposition de Ratzinger à ces idées. Mais les différences dans leurs approches pour parler utilement de Jésus de Nazareth sont beaucoup plus importantes.

Ils étaient considérés comme les deux plus éminentes personnalités de la théologie allemande du vingtième siècle. Le premier est décédé le 6 avril à l'âge de 93 ans. Le second aura 94 ans le 16 avril.

Jeunes professeurs, tous deux ont enseigné ensemble à la prestigieuse faculté de théologie de Tübingen, que Ratzinger a rapidement quittée pour la moins tumultueuse Ratisbonne.

Tous deux ont été très tôt actifs et influents en tant que théologiens experts lors du Concile Vatican II (1962-65) qui allait actualiser la doctrine catholique et l'organisation de l'Église.

Aux antipodes de Jean-Paul II

Leurs chemins se séparent peu après. Küng et Ratzinger se sont alors opposés.

Küng a été déchu de sa qualité d'enseignant en tant que théologien catholique romain par Jean-Paul II en 1979 pour avoir contré le dogme de l'infaillibilité papale dans l'un de ses livres les plus vendus.

Ratzinger, qui avait déjà été élevé au rang d'archevêque et de cardinal par Paul VI, sera ensuite nommé "gardien de la doctrine" par le même Jean-Paul ; il allait devenir le successeur du pape polonais en tant qu'évêque de Rome.

Küng et Ratzinger ne furent probablement pas les théologiens catholiques les plus créatifs du monde germanophone. Leurs contributions théologiques restent derrière celles des deux autres grands opposants, Karl Rahner et Hans Urs von Balthasar.

Mais Küng et Ratzinger ont attiré beaucoup plus d'attention, grâce à la fascination des médias pour la lutte intra-ecclésiale dont ils étaient les symboles.

La véritable percée de Küng a lieu en 1974, lorsqu'il publie son étude christologique "Etre chrétien" (publiée en français en 1978). Le titre du livre est trompeur : il ne s'agit pas tant de suivre le Christ que de savoir qui est vraiment Jésus dans sa relation à Dieu et à l'humanité.

Théologie d'en haut ou théologie d'en bas ?

La même année, en 1974, d'autres théologiens catholiques - dont le dominicain néerlandais Edward Schillebeeckx - ont également publié des ouvrages christologiques.

Ils sont un point de basculement révolutionnaire dans la théologie catholique : aux côtés de la traditionnelle "christologie d'en haut", ces théologiens ont développé une "christologie d'en bas".

L'exégète protestant allemand Ernst Käsemann [1] était arrivé en 1953 à la conclusion que, à partir de la recherche historique scientifique, il était possible de dire quelque chose de significatif sur le Jésus historique. Cela a fortement déçu son professeur Rudolf Bultmann[2], qui avait affirmé le contraire toute sa vie. Käsemann, qui enseignait l'Écriture sainte à Tübingen, estimait que l'on pouvait remonter derrière les textes bibliques, qui avaient été écrits comme des proclamations de foi, pour mieux comprendre leur contexte historique. Küng et d'autres théologiens ont repris ces résultats et ont commencé à travailler avec eux sur le plan théologique.

Contraindre les opposants à une nouvelle créativité

La "christologie d'en haut" voulait comprendre Jésus de Nazareth à partir de la confession du Nouveau Testament et du dogme christologique, en se basant sur l'hypothèse qu'il est le Fils de Dieu et la deuxième Personne de la Trinité.

Ces nouveaux "théologiens d'en bas" voulaient commencer leur réflexion sur qui est Jésus dans l'histoire.

Ratzinger et d'autres "théologiens d'en haut" craignaient cependant que cette forme de théologie ne produise qu'une "christologie minimaliste".

Ils craignaient que, si un théologien ne partait pas de la certitude de la foi que Dieu se révèle en la personne de Jésus de Nazareth, l'humanité du Christ soit davantage mise en valeur que sa divinité.

Küng et ses disciples craignaient exactement le contraire.

Pendant des siècles, Jésus avait été considéré du point de vue d'un credo qui, selon eux, était devenu trop rigide. Il en résultait que la fraicheur du discours révolutionnaire de Jésus avait été laissée de côté, tout comme sa nature pleinement humaine, même si elle faisait partie du dogme christologique.

Ces deux formes de théologie sont restées fortement opposées pendant des décennies et, en fait, elles le sont toujours dans les milieux catholiques et protestants.

Les partisans de la "théologie d'en haut" ne trouvent pas la "théologie d'en bas" assez scientifique, les seconds ne trouvent pas la première assez directe. Depuis lors, chaque théologien doit choisir son approche christologique.

Mais, à l'occasion du décès de Hans Küng, nous pouvons peut-être constater avant tout que la tension intellectuelle entre ces deux démarches s'est avérée être une bénédiction pour l'Église et la théologie.

Küng et ses partisans ont non seulement mis en place une nouvelle méthode théologique, mais ont également contraint leurs adversaires à une nouvelle créativité.

En effet, Joseph Ratzinger/Benoît XVI n'aurait pas pu écrire sa célèbre trilogie sur Jésus de Nazareth, qu'il a publiée entre 2007 et 2012, sans les questions critiques des théologiens "d'en bas" qu'il a tant contestées.

Hendro Munsterman est un théologien catholique romain qui enseigne en France. Il écrit sur la foi et la religion pour le quotidien chrétien néerlandais Nederlands Dagblad, où cet article est initialement paru.

https://international.la-croix.com/news/religion/kng-and-ratzinger-opposite-but-complementary-paths-to-jesus/14116?utm_source=NewsLetter&utm_medium=Email&utm_campaign=20210414_mailjet


[1] Ernst Käsemann (1906-1998) est un pasteur luthérien et un universitaire allemand, spécialiste du Nouveau Testament.

[2] Rudolf Bultmann, 1884-1976  est un théologien allemand de tradition luthérienne, spécialiste du Nouveau Testament

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