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« Souplesse du corps » - Robert SCHOLTUS - 16 janvier 2005

Robert SCHOLTUS , Supérieur du Séminaire de l’Institut Catholique a écrit avec des doigts de feu un petit livre qui étanche la soif des chrétiens tant ses pages sont limpides et claires. Il ose parler fort, il ose dire tout haut ce que certains ont parfois honte de penser. Ce livre publié chez Bayard : « Petit Christianisme de l’Insolence », donne une joie qui vaut bien plus que 15 euros 90

 

Documents dans son intégralité : Scholtus souplesse du corpsScholtus souplesse du corps

 

… Paul Valéry disait : « Il faut être léger comme l’oiseau et non comme la plume. » Une autre citation, du peu recommandable Matzneff, traverse les décennies : « Le contraire de la grâce, ce n’est pas le péché, c’est le cul-de-plomb. »

On peut se demander pourquoi la théologie, qui est fondamentalement discours de la grâce, est à ce point dépourvue de grâce. Son agilité conceptuelle ne parvient pas à faire oublier son air empoté et les disgrâces de son écriture. Mais, soyons justes, c’est le christianisme dans son entier, et singulièrement le catholicisme, qui a le pas lourd au terme de deux mille ans de marche, sans parler des millénaires précédents dont il lui faut aussi assumer l’histoire.

L’Eglise a la mémoire lourde, comme les vieilles dames ont les jambes lourdes. D’autant plus lourde depuis quelques années qu’elle est sommée par la société de s’astreindre à un devoir de mémoire qu’elle s’est déjà employée à transformer en acte de repentance. Leur passé est si prégnant que les chrétiens, surtout quand ils ne le sont plus, se réfèrent à lui pour s’identifier et se justifier. Les prêtres vous le diront : les motifs invoqués pour appuyer une demande de baptême ou de mariage ressortissent presque toujours au passé, rarement à une adhésion actuelle : une grand-mère très pieuse, une scolarité chez les bons pères, les années d’enfant de chœur, un passage dans une aumônerie ou un mouvement de jeunesse catholique, un oncle missionnaire en Tanzanie…

La religion est un souvenir qui n’en finit pas de s’estomper…

… Le monde ne croit plus désormais qu’à l’avenir d’une évolution technologique indéfinie. Ne lui resterait-il donc que la religion « pour mémoire » et le présent pour utopie ? Je crois au contraire qu’il est temps d’en finir avec cette mémoire conservatrice et accumulatrice, écrasante et étouffante. Les chrétiens sont encore trop largement soupçonnés de ne pas aimer le temps présent, de faire peser sur lui l’ombre réprobatrice d’un passé révolu, d’une tradition morte. La tentation est bel et bien de vouloir mesurer le présent à l’aune du passé, quand c’est à partir du présent qu’il faudrait revisiter l’histoire, un présent dont les exigences sont irrécusables, qui est à vivre, à aimer, à comprendre jusque dans ses opacités et ses contradictions. Se tenir dans l’axe du présent, comme aurait dit Péguy, ne consiste donc pas à « sortir » de l’histoire ni à ignorer le passé. Bien au contraire, c’est se tenir en ce seul lieu où le passé puisse libérer des significations pour l’avenir.

… Péguy disait encore que la grâce du génie, c’est sa jeunesse, parce que la jeunesse, c’est de manquer de mémoire et donc d’habitude, d’être insolente au sens étymologique du terme. Il faudra bien que les « habitués » du christianisme cessent d’imposer aux nouvelles générations qui vivent de plain-pied dans la post-modernité d’en passer par l’exténuante tradition de la critique de la tradition, par l’interminable visite guidée du mémorial de leurs combats. Il faudra bien qu’ils leur reconnaissent la chance de manquer de mémoire et de pouvoir évoluer dans un espace désencombré, libéré du poids écrasant de l’institution et de l’impérialisme de la critique.

Il n’y a rien de plus urgent, si nous voulons que les générations du nouveau millénaire aient accès à ce qui nous fut donné avec le lait maternel, que de décrisper notre relation à la tradition d’où nous venons et d’en désensabler la source. Il faudrait commencer par imposer aux théologiens la lecture de la  Seconde considération intempestive de Nietzsche pour qu’ils y trouvent de quoi guérir leur « maladie historique ». En effet, un excès de sens historique « nuit à l’être vivant et finit par l’anéantir, qu’il s’agisse d’un homme, d’un peuple ou d’une civilisation ». Et la théologie n’a pas échappé à ce travers ; elle s’est faite histoire de la théologie, commentaire de commentaires, contribuant ainsi à l’étiolement de la vie de l’Esprit et au dessèchement de la pensée chrétienne. « Quand donc se lèveront des théologiens assez poètes pour ensemble, déconstruisant la parole, faire entendre une parole plus souveraine que toute parole seulement autorisée par le magistère ou par l’audimat ? » demande Olivier Abel, auquel je me rallie quand il en appelle à une « anamnèse décomplexée », à une  « remémoration tranquille » hors des conflits entre tradition et modernité….

 

Robert  SCHOLTUS

Date de dernière mise à jour : 07/01/2019