USA - Qu’y a-t-il derrière l'idée de "pape émérite" ? - LCI 23/05/2019

The fiction behind the idea of the pope emeritusThe fiction behind the idea of the pope emeritus

 

 

Qu’y a-t-il derrière l'idée de "pape émérite" ?

Le bureau du pape émérite a été structuré par Benoît XVI et son entourage entre le moment où il a annoncé sa démission et le jour où il a effectivement démissionné.

 

Massimo Faggioli

États Unis

23 avril 2019

 

L'histoire des démissions papales remonte au Moyen-Âge, époque à laquelle les papes ne démissionnaient pas normalement, mais étaient contraints de quitter leurs fonctions par un concile, des rivalités dans l'aristocratie romaine ou des manœuvres politiques des puissances européennes.

À l'époque, la papauté se distinguait plus par sa puissance politique que par sa sollicitude pastorale ou son ministère ecclésial.

Benoît XVI a annoncé le 11 février 2013 qu'il démissionnerait le 28 février à 20 heures, ouvrant la voie à une nouvelle ère de l'histoire papale.

La démission de Benoît avait très peu à voir avec la papauté du Moyen Âge et ne pouvait pas être comparée à la démission des papes médiévaux.

Il faut la considérer dans le contexte du Concile Vatican II (1962-1965). La phrase latine utilisée par Benoît XVI pour expliquer sa décision - "ingravescentem aetatem" (à cause de la vieillesse) - est également le titre du "motu proprio" publié en 1970 par Paul VI qui fixait à 75 ans l'âge limite pour les cardinaux de la curie romaine (et 80 pour participer à un conclave en vue de l'élection d'un nouveau pape).

 

Le concile Vatican II et la démission d'évêques

C’est en réalité un décret du concile Vatican II de 1965 qui a jeté les bases d’une limite d’âge pour les évêques diocésains. C’est le vrai commencement d’une compréhension théologique moderne de l’idée de la démission de l’évêque de Rome.

Entre 1962 et 1965, les pères conciliaires ont consacré beaucoup de temps et d’énergie à débattre de la nécessité pour les évêques de démissionner à un certain âge ou pour d’autres raisons graves (principalement la santé).

Cela faisait partie du débat autour du texte sur le ministère pastoral des évêques, qui a conduit au décret conciliaire "Christus Dominus", promulgué lors de la dernière session du concile en 1965.

« La charge pastorale des évêques étant si importante et lourde, il est vivement recommandé aux évêques diocésains et autres personnes considérées en droit comme leurs égaux, qui sont devenus moins aptes à remplir leurs fonctions en raison des contraintes que leur impose l’âge ou toute autre raison sérieuse, de proposer leur démission, soit de leur propre initiative, soit à l'invitation de l'autorité compétente « , déclare "Christus Dominus" (n ° 21).

"Si l'autorité compétente accepte la démission, elle prévoira pour ceux qui ont démissionné à la fois le soutien approprié de ceux et les droits spéciaux qui leur sont reconnus".

 

Réticence à fixer une limite d'âge spécifique

Aux premiers jours de Vatican II, lorsqu'un certain nombre d'évêques tentèrent d'imposer une limite d'âge spécifique, il y eu des protestations en particulier des évêques plus âgés, qui s’estimaient attaqués.

 

 

Evidemment une limite d'âge obligatoire (certains même proposèrent 65 ans) signifiait qu'un bon pourcentage des Pères serait obligé de démissionner à la fin du concile. Cependant il était rassurant de proposer que la règle ne s'applique qu'aux évêques nouvellement nommés et ne soit pas rétroactive.

Certains évêques favorables à la réforme avaient déjà insisté pour une limite d'âge de 75 ans au cours de la phase préparatoire de Vatican II. En octobre 1964, un sous-comité du concile avait rejeté cette idée en déclarant : « Il semble trop violent d'imposer par la loi à tous les évêques la limite d'âge de 75 ans ».

Craignant une révolte générationnelle et des perturbations au sein du concile, Vatican II a clairement indiqué ne pas fixer d’âge ou de critères particuliers pour les démissions épiscopales.

Il est assez étonnant aujourd’hui de voir comment au concile, personne n’a perçu la nouveauté absolue d’une telle disposition, tirée des lois sociétales modernes plutôt que d’une ecclésiologie de la communion épiscopale ou de l’histoire de l’épiscopat.

A l'époque et sur cette question particulière, le concile a suivi la société civile.

Le texte conciliaire sur la démission des évêques a eu des conséquences inattendues, et cela aura une importance capitale à long terme sur la vie institutionnelle de l'Église.

Paul VI ne s'y est pas opposé, bien au contraire. Les débats autour de l'âge de démission obligatoire, ainsi que le processus de nomination des évêques, ont constitué une étape très importante du point de vue institutionnel. Cela donna à Paul VI un pouvoir énorme sur la création du nouvel épiscopat post-conciliaire.

 

Le pape n'est pas qu'un autre évêque

Par un paradoxe singulier, la tentative de Vatican II de moderniser et de rationaliser l’épiscopat issu de Vatican I a abouti à un décret conciliaire élargissant le pouvoir bureaucratique du pape et de la curie romaine pour choisir et nommer les évêques. L'épiscopalisme de Vatican II s'est construit sur le papalisme de Vatican I.

Il est important de rappeler que, dans toutes les discussions du concile Vatican II et au début de la période postconciliaire, personne n'a tenté d'appliquer à l'évêque de Rome la nouvelle discipline de la démission obligatoire.

Non comme un tabou, la charge papale était simplement considérée comme quelque chose de différent. Il y avait de la sagesse dans cette approche.

C’est la raison pour laquelle la décision de Benoît XVI de démissionner - et d’appliquer à la papauté la discipline initialement conçue pour les évêques - doit être considérée comme la première étape d’une nouvelle phase de l’histoire de la papauté.

Cela marque une discontinuité, non seulement des textes, mais aussi de l'intention de Vatican II.

Mais ce ne fut qu’un premier pas, qui doit maintenant être suivi pour l’institution d’autres mesures juridiques et ecclésiologiques.  Joseph Ratzinger a fait un geste nouveau qui n’a pas été traité dans le répertoire 2004 du Vatican sur les évêques : "Apostolorum Successores".

C’est devenu évident après la publication récente par Benoît XVI d'un essai sur les origines de la crise des abus sexuels perpétrée par l'Église.

« L'évêque émérite veillera à ne pas interférer de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, dans la gouvernance du diocèse. Il voudra éviter toute attitude ou relation qui pourrait faire allusion à une sorte d'autorité parallèle à celle de l'évêque diocésain, aux conséquences néfastes pour la vie pastorale et l’unité de la communauté diocésaine ", a écrit "Apostolorum Successores ».

« A cette fin, l'évêque émérite exerce toujours son activité en accord avec l'évêque diocésain et en déférence à son autorité. Ainsi, tous comprendront clairement que seul l'évêque diocésain est le chef du diocèse, responsable de sa gouvernance. » ajoute le texte.

 

Benoît XVI et la rupture avec le passé

Cependant, ce document du Vatican ne dit rien sur la démission de l'évêque de Rome. Et ce n’est pas surprenant si l’on pense que ce texte a été écrit en 2004 à la fin douloureuse du pontificat de Jean-Paul II, qui a clairement affirmé sa conviction qu’un pape ne devrait jamais démissionner.

Le fait de spéculer sur la possibilité d'une démission papale en cas de maladie ou d'incapacité était une zone interdite dangereuse pour les théologiens ou les religieux de l'époque.

Le pontificat de Benoît XVI a fini par être un nouveau départ, mais avec peu de préparation au niveau théologique et juridique. Et cela cause difficultés et confusion.

Le bureau actuel de pape émérite a été structuré par Benoît XVI et son entourage dans les semaines qui ont suivi l'annonce de sa démission et le jour où il a démissionné.

Benoît avait nommé l'archevêque Georg Gänswein préfet de la maison papale en décembre 2012, quelques semaines à peine avant d'annoncer sa démission de la papauté.

C'était pour protéger Gänswein lors du prochain pontificat. Cela limitait la liberté du nouveau pape qui devrait ainsi accepter ce préfet nouvellement nommé que Benoît entendait clairement garder à son service bien au-delà de sa démission, le 28 février 2013.

On peut comparer cette situation à l’institution népotique du "cardinal-neveu ".

Avant qu’elle soit abolie en 1692, les papes faisaient de leur protégé ou de leur parent un cardinal. Le chapeau rouge aidait ce dernier quand qu’il serait contraint de quitter la scène pour faire place au nouveau pape et à sa famille.

Une élection papale pouvait bouleverser la situation d’un cardinal-neveu, voire faire naître un conflit avec le nouveau pape. Cela n’est pas arrivé à Mgr Gänswein après la démission de Benoît XVI.

 

Une nouvelle situation qui nécessite une nouvelle législation

Le népotisme dans la curie romaine avait certains avantages qui font défaut au népotisme contemporain.

La situation actuelle est plus compliquée. C'est le produit du mélange d'une bureaucratie moderne et de celle d'une cour papale de la Renaissance, gardant les côtés négatifs des deux systèmes, avec seulement quelques rares de leurs côtés positifs. Ce n'est pas simplement un problème de structures curiales. C'est aussi un problème théologique.

Ecclésiologiquement, du moins dans l’Église occidentale, le titre de pape contient celui d’évêque de Rome. Sur le plan institutionnel, la présence d'un pape émérite depuis mars 2013 montre qu'il n'est pas possible de concevoir l'ancien évêque de Rome de la même manière que les anciens évêques d'autres diocèses.

La démission de Benoît XVI a mis fin à de nombreuses mythes dans l’Église catholique. Parmi eux que l'institution de la papauté, dans l'Église et dans le monde, ressemblerait à celle d'un évêque diocésain. En toute honnêteté, nous devons évaluer le problème soulevé par la démission de Benoît XVI en examinant certaines de ses décisions alors qu’il envisageait de se retirer.

Premièrement, le poste de "préfet de la maison pontificale" doit être aboli. Ensuite, l'ancien pape devrait s'appeler "Évêque émérite de Rome" et non pas pape émérite. Il devrait également cesser de porter un vêtement blanc.

De plus, ses relations avec les médias ne devraient pas être laissées à la discrétion de ses secrétaires personnels qui peuvent, quant à son influence, avoir intérêt à dépasser les limites.

Les médias officiels du Vatican devraient traiter toutes les déclarations et autres communications que l'ancien pape souhaite faire. Et tout ceci pour le moins.

Le prochain 150e anniversaire de Vatican I (1869-1870) sera une bonne occasion d'aborder cette question. Il est peut-être trop tard pour le pontificat actuel, mais certainement pas pour l'avenir de la papauté.

 

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The fiction behind the idea of the 'pope emeritus'

The office of 'pope emeritus' was structured by Benedict and his entourage between the moment he announced his resignation and the day he actually stepped down

Massimo Faggioli
United States

April 23, 2019

The history of papal resignations goes back to the Middle Ages when popes normally did not step down freely, but were forced out by councils, rival factions of the Roman aristocracy or the political maneuvering of European powers.

At the time, the papacy was distinguished more by its political relevance than its pastoral solicitude or ecclesiastical ministry.

However, Benedict XVI announcement on Feb. 11, 2013 that he would resign in a matter of weeks on Feb.28, 8 pm Rome set the stage for a new era in papal history.

Benedict's resignation had very little to do with the papacy of the Middle Ages and it should not be framed as the continuation of the resignation of medieval popes.

Instead, it must be seen in the context of the Second Vatican Council (1962-65). The Latin phrase Benedict XVI used to explain his decision – ingravescentem aetatem (for old age) – is also the title of the "motu proprio" Paul VI issued in 1970 that set the age limit at seventy-five for cardinals of the Roman Curia (and age eighty to participate in a conclave for the election of a new pope).

Vatican Council II and the resignation of bishops

But it was actually a decree by Vatican II in 1965 that sowed the seeds for an age limit for the diocesan bishops. And this is the real beginning for our modern theological understanding of the idea of the resignation of the Bishop of Rome.

Between 1962 and 1965, the council fathers spent considerable time and energy deliberating over the need for bishops to resign at a certain age or for other serious reasons (mainly health).

It was part of the debate surrounding the text on the pastoral ministry of bishops, which led to the conciliar decree Christus Dominus, promulgated during the council's last session in 1965.

"Since the pastoral office of bishops is so important and weighty, diocesan bishops and others regarded in law as their equals, who have become less capable of fulfilling their duties properly because of the increasing burden of age or some other serious reason, are earnestly requested to offer their resignation from office either at their own initiative or upon the invitation of the competent authority," says Christus Dominus (no. 21).

"If the competent authority should accept the resignation, it will make provision both for the suitable support of those who have resigned and for special rights to be accorded them," it concludes.

Reluctance to set a specific age limit

In the early stages of Vatican II, when a number of bishops tried to impose a specific age limit, there was significant pushback – especially from older bishops, who felt it was open season against them.

After all, a mandatory age limit (some even proposed 65) would mean that a good percentage of the fathers would be required to resign once the council was over. It was reassuring enough to promise that the rule would be applied only to newly appointed bishops and not be retroactive.

Some reform-minded bishops had pushed for a 75-year age limit already during Vatican II's preparatory phase. But the council's subcommittee rejected that in October 1964 by saying, "It seems rather violent to impose by law for all bishops the age limit of 75."

For fear of a generational revolt and disruption at the council, Vatican II steered clear from setting a specific age or particular criteria for episcopal resignations.

It is rather astonishing today to see how nobody at Vatican II perceived the absolute novelty of such a provision, which was drawn from the laws of modern bureaucracies, rather than from an ecclesiology of communion or from the earliest history of the episcopate.

But at the time, and on this particular issue, the council proceeded in tow of the history of civil bureaucracies.

The conciliar text on the resignation of bishops ushered in unexpected consequences. It would have longterm and capital importance on the institutional life of the Church.

Paul VI did not oppose it; quite the contrary. The debates surrounding a mandatory resignation age, as well as the process for appointing bishops, made for a very powerful mixture from the institutional point of view. And this gave Paul enormous power over the creation of the new post-conciliar episcopate.

The pope is not just another bishop

By a singular paradox, Vatican II's attempt to modernize and rationalize the efficiency of the episcopal class in the name of a post-Vatican I episcopalism resulted in a conciliar decree that expanded the bureaucratic power of the holders – the pope and the Roman Curia – to choose and appoint bishops. The episcopalism of Vatican II built upon the papalism of Vatican I.

It is important to recall that in all the discussions at Vatican Council II and in the early post-conciliar period, no one tried to apply the new discipline of mandatory resignation to the Bishop of Rome.

More than a taboo, the papal office was regarded simply as something different. There was wisdom in that approach.

That is why Benedict XVI's decision to resign – and apply to the papacy the discipline originally conceived only for residential bishops – must be seen as the first step in a new phase in the history of the papacy.

It marks discontinuity, not only from the texts, but also from the intent of Vatican II.

But it was only a first step, which now needs to be followed by other measures in the juridical and ecclesiological contours of the institution. Here Joseph Ratzinger created something new that was not even addressed the Vatican's 2004 directory on bishops, Apostolorum Successores.

This became evident after Benedict recently published an essay on the origins of the Church's sexual abuse crisis.

"The Bishop Emeritus will be careful not to interfere in any way, directly or indirectly, in the governance of the diocese. He will want to avoid every attitude and relationship that could even hint at some kind of parallel authority to that of the diocesan Bishop, with damaging consequences for the pastoral life and unity of the diocesan community," says Apostolorum Successores.

"To this end, the Bishop Emeritus always carries out his activity in full agreement with the diocesan Bishop and in deference to his authority. In this way all will understand clearly that the diocesan Bishop alone is the head of the diocese, responsible for its governance," the directory says.

Benedict XVI and a break from the past

However, this Vatican document says nothing about the resignation of the Bishop of Rome. And this is not surprising, considering it was written in 2004 at the agonizing end of the pontificate of John Paul II, who clearly stated his belief that a pope should never resign.

Speculating about the possibility of a papal resignation in the case of illness or incapacitation was a dangerous "no-go zone" for theologians or clerics at the time.

Benedict XVI's pontificate ended up being a break from and a new departure on this issue, but with little preparation at either the theological or juridical level. And this has caused some difficulties and confusion.

The current office of "pope emeritus" was structured by Benedict and his entourage in the weeks between the moment he announced his intended resignation and the day he actually stepped down.

It was not unrelated to the role of Archbishop Georg Gänswein, whom Benedict appointed prefect of the papal household in December 2012, just several weeks before announcing his resignation from the papacy.

This was to "protect" Gänswein in the next pontificate. But it also limited the freedom of the new pope who would be stuck with a newly appointed prefect whom Benedict had clearly wanted to continue on well beyond his own resignation on February 28, 2013.

One can compare the situation with the ill-reputed baroque institution of the "cardinal nephew."

Before being abolished in 1692, popes would make their top protégé a cardinal. The red hat would provide the aide with stature once he would be forced to leave the stage and make room for the new pope and his family.

A papal election could bring a dramatic change of fortune to a cardinal-nephew, even a conflict with the new pope. But that has not happened to Archbishop Gänswein after the resignation of Benedict XVI.

A new situation that needs new legislation

Nepotism in the Roman Curia had certain advantages that contemporary nepotism lacks.

Today's situation is more complicated. It is the product of the mixture of a modern-day bureaucracy and a Renaissance papal court, reflecting the negative sides of both systems, with only few of their positive sides. This is not just a problem of curial structures. It is also a theological problem.

Ecclesiologically, at least in the Western Church, one derives the title "pope" from being the Bishop of Rome. Institutionally, the presence of an "emeritus" since March 2013 shows that it is not possible to conceive of the former bishop of Rome in the same way as former bishops of other dioceses.

The resignation of Benedict XVI has put an end to many fictions in the Catholic Church. Among them is that the institution of the papacy, in the Church and in the world, is similar to that of a diocesan bishop. We must honestly assess the problem Benedict's resignation has raised, especially by looking at some of the earliest decisions he made as he planned to step down.

First, the office of "prefect of the pontifical household" must be abolished. Then, the former pope should be called "Bishop-emeritus of Rome," not pope emeritus. He should also cease to wear white.

Furthermore, his relations with the media should not be left to the discretion of his personal secretaries, who may have every interest in extending his influence beyond its proper bounds.

Official Vatican media should handle all statements and other communications the former pope wishes to make. And this is just a beginning.

The upcoming 150th anniversary of Vatican I (1869-1870) is a good opportunity to address this issue. It may be too late for this current pontificate, but it's certainly not for the future of the papacy.

 

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