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Hôpital de campagne ou champ de bataille ?

La politisation des sacrements et la poursuite de l'enlisement de l'Église américaine

dans les guerres culturelles

Massimo Faggioli

États-Unis

15 novembre 2021

Traduit par Jean-paul

 

Tout au long de l'histoire, des débats - soit au niveau local, soit avec Rome - ont eu des conséquences profondes et à long terme sur l'histoire du catholicisme.

L'un d'eux, par exemple, a été la controverse sur les "rites chinois" aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elle a influencé la manière dont l'Église a abordé les traditions et les cultures chinoises, ainsi que le pluralisme religieux, au moins jusqu'à l'aube du Concile Vatican II (1962-1965).

Nous sommes dans une situation similaire dans l'ecclésiologie, la façon dont nous concevons l'Église.

Les politiciens catholiques et l'avortement

Prenez la récente controverse touchant les acteurs politiques catholiques aux États-Unis quant à l'Eucharistie. Elle oppose une fraction de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis (USCCB) au président Joe Biden et montre une nouvelle fois que cette dernière est en décalage avec l'approche pastorale du pape François.

Cette situation n'est pas seulement préoccupante pour ceux qui sont impliqués car l’approche de cette question aura des conséquences sur l’avenir de l'Église et ce qu’elle pense être.

De nombreux évêques américains ont exhorté l'USCCB à publier un document qui interdirait - ou du moins intimiderait - les législateurs catholiques favorables aux lois qui légalisent l'avortement de communier.

Certains d’entre eux et de premier plan ont modifié leur pratique comme l'a révélé un sénateur américain dans une récente interview accordée au magazine jésuite America.

Lors de la réunion d'été de l'USCCB en juin dernier, 73% des évêques ont voté en faveur de la rédaction d'un tel document.

La proposition a été soutenue par 168 des 273 prélats autorisés à voter. Seuls 55 se sont opposés au projet, tandis que six autres se sont abstenus. (Les 160 évêques retraités de la conférence ne peuvent pas voter).

Un document sur l'Eucharistie

Après le vote de juin, une commission spéciale a entrepris la rédaction d'un document sur l'Eucharistie, sur lequel les évêques voteront lorsqu'ils se réuniront à Baltimore pour la réunion d'automne.

Le document ne mentionne pas la question. Mais la discussion qui aura lieu aura un impact sur l'Église, quelle que soit la version finale du texte, qu'il soit approuvé ou non par la majorité des deux tiers.

Les évêques n'ont jamais menacé de refuser la communion aux conservateurs qui approuvent des lois en opposition avec l'Église, comme la peine de mort.

William Barr, un catholique qui a activement promu la peine capitale en tant que procureur général sous Donald Trump, n'a jamais été soumis au traitement que les évêques infligent à J. Biden et autres démocrates.

Pourtant, il ne fait aucun doute que la manière dont les États-Unis ont légalisé l'avortement, très différente de l'approche adoptée par la plupart des pays européens, est pour le moins problématique pour l'enseignement catholique (les pasteurs de l'Église ont le devoir d'enseigner sur ce sujet).

Les sacrements et les " guerres culturelles ".

Le problème est que l'effort pour contrer un parti politique n'est pas un simple accident. C'est une caractéristique des "guerres culturelles" du catholicisme contemporain, qui ont commencé aux États-Unis dans les années 1980, se propageant dans les années 1990.

La décennie qui a débuté avec la chute du communisme a été marquée par la recherche d'une nouvelle identité et d'un nouveau sens, d'un nouvel univers symbolique. En 2001, les attentats du 11 septembre ont déclenché la mondialisation de ces guerres culturelles américaines.

La tension qui existe actuellement entre le Vatican et une fraction importante des évêques américains sur la question de J. Biden et de l'Eucharistie signe une nouvelle escalade des guerres culturelles catholiques, qui viennent d’envahir le domaine des sacrements.

Il s'agit d'un phénomène nouveau.

Si, au siècle dernier, certains membres de l'Église ont politisé des dévotions populaires (par exemple à la Vierge Marie ou au Sacré-Cœur), les sacrements ne l’ont jamais été. En effet, si le Saint-Office a excommunié des communistes en 1949, pendant le pontificat de Pie XII, c’était la conséquence d’une rupture.

Lorsque le secrétaire privé du cardinal Angelo Giuseppe Roncalli lui a dit que des catholiques zélés s'étaient plaints de communistes recevant la communion lors d'une messe dans sa ville natale de Sotto il Monte, le futur Jean XXIII a expliqué :

« C’est une personne vient au confessionnal, pas un parti ou une idéologie. Cette personne est confiée à notre catéchèse, à notre amour, à notre inventivité pastorale.

Il faut procéder au cas par cas, avec une extrême prudence. Si vous leur imposez quelque chose de façon radicale, ils ne vous comprendront pas ou comprendront à reculons ; si vous les rejetez, ils partiront et ne reviendront jamais. »

Qu'arrive-t-il au catholicisme aux États-Unis ?

Le pape François et ses collaborateurs essaient de protéger l'accès de Joe Biden aux sacrements.

Ceci est particulièrement clair dans une lettre que le Cardinal Luis Ladaria, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a envoyé au président de l'USCCB en mai dernier.

L'inquiétude du pape ne porte pas tant sur J. Biden que sur ce qui arrive au catholicisme aux États-Unis.

Ce qui est en jeu ici, c'est la catholicité de l'Eglise catholique, une Eglise non-sectaire et non-partisane.

Il ne s'agit pas seulement d'un problème de crédibilité de l'Église, mais de sa nature de sacrement du salut, comme l'indique le premier chapitre de Lumen gentium, la constitution de Vatican II sur l'Église.

L'Église catholique vit actuellement une situation très proche de celle de l'époque du Concile.

Jean XXIII a convoqué Vatican II en 1959 et a publié son encyclique la plus importante, Pacem in Terris, en avril 1963, quelques mois après la crise des missiles de Cuba. Le contexte était celui de la guerre froide et l'intention du pape n'était pas seulement de contribuer à la paix mondiale mais aussi de protéger l'Église du choc idéologique entre le communisme et le "monde libre".

Un champ de bataille pour les guerres culturelles

Le pape François réintroduit la culture synodale dans l'Église et ouvre un processus synodal mondial dans le contexte des guerres culturelles.

Il tente de sauver l'Eglise en repoussant les appels à s'aligner sur l’identité civilisationnelle du «  nous contre eux » - des appels qui sont particulièrement forts au sein du catholicisme américain.

Un exemple de ce à quoi le pape est confronté a été celui de l'archevêque José Gomez, le président de l'USCCB, prononçant un discours profondément diviseur lors d'une conférence en Espagne. J. Gomez a choqué de nombreux catholiques en traitant les mouvements de justice sociale d’incompétence, de communautarisme, de discrimination et d'idéologie, les qualifiant de pseudo-religions.

Ce cas de politisation de l'USCCB arrive à un moment où l'Eglise peut le moins se le permettre.

Comme l'a « tweeté » l'archevêque Mark Coleridge, président de la Conférence des évêques australiens, le 12 novembre : « L'Eucharistie ne peut devenir un marqueur de différence (l'exclusion) c’est un sacrement de communion (l'inclusion) »

Voyons-nous l'Église comme un hôpital de campagne, comme François l'a défini dans son interview de septembre 2013 avec Antonio Spadaro sj, ou comme un champ de bataille des guerres culturelles?

Un champ de bataille sépare les amis des ennemis.

En paraphrasant la célèbre phrase de Carl von Clausewitz sur la politique et la guerre, on pourrait dire que dans l'Église catholique, l'extension du champ de bataille aux sacrements est la poursuite des guerres culturelles par d'autres moyens.

Pour en savoir plus : https://international.la-croix.com/news/signs-of-the-times/field-hospital-or-battlefield/15213?utm_source=NewsLetter&utm_medium=Email&utm_campaign=20211120_mailjet

Field hospital or battlefield?

Politicizing the sacraments and the US Church's further entanglement in the culture wars

By Massimo Faggioli

United States

November 15, 2021

Throughout history there have been Church debates -- either locally or with the powers at the Vatican -- that have had far-reaching and long-term consequences on the lived and intellectual history of Catholicism.

One of them, for instance, was the "Chinese rites" controversy in the 17thand 18thcenturies. This would influence the way the Church approached Chinese traditions and cultures, as well religious pluralism, right up until at least the dawn of the Second Vatican Council (1962-65).

We are at a similar juncture in ecclesiology -- i.e. the way we conceive of the Catholic Church.

Catholic politicians and abortion

Take the recent controversy surrounding Catholic politicians in the United States and reception of the Eucharist. It has pitted a "party" within the US Conference of Catholic Bishops (USCCB) against President Joe Biden and has again revealed that the USCCB is out of step with the pastoral approach of Pope Francis.

This situation is worrying for more than just those who are directly involved because the way this issue is played out will have consequences on the future of the Church and its self-understanding.

Many US bishops have been urging the USCCB to release a document that would bar -- or at least intimidate -- Catholic politicians who favor the current laws that legalize abortion from receiving Holy Communion at Mass.

This is something that has already affected the liturgical habits of some prominent Catholic politicians, as a US senator revealed in a recent interview with the Jesuit-run magazine, America.

At the USCCB summer gathering last June, some 73% of the bishops voted in favor of drafting such a document.

The proposal was backed by 168 of the 273 prelates eligible to vote. Only 55 opposed the plan, while another six abstained. (The 160 retired bishops in the conference cannot cast a ballot.)

A document on the Eucharist

After the vote in June, a special commission got busy drafting a document on the Eucharist, which the bishops will vote on this week as they gather in Baltimore for the USCCB's annual "fall meeting".

The document does not mention the issue of politicians and Communion. But the character of the discussion that takes place this week and in its aftermath will have an impact on the Church, no matter what the text's final version or whether it is approved by the necessary two-thirds majority.

The bishops have never threatened to deny Communion to conservative politicians who approve of other laws that are in clear contrast with Church, such as the death penalty.

William Barr, a Catholic who actively promoted capital punishment as attorney general under Donald Trump, was never subjected to the sort of treatment the bishops are displaying towards Biden and other Democrats.

Still, there is no question that the way the United States has gone about legalizing abortion, very differently from the approach most countries in Europe have taken, is highly problematic for Catholic teaching, to say the least.

And, certainly, the Church's pastors have a duty to teach on the subject.

The sacraments and the "culture wars"

But the problem is that the entire effort to penalize politicians of one political party is not just an accident. It is a feature of contemporary Catholicism's "culture wars", which began in the United States in 1980s and continued to spread in the 1990s.

The decade that began with the fall of Communism was marked by a search for a new identity and meaning, a separate new symbolic universe. Then in 2001 the 9/11 attacks sparked the globalization of these American culture wars.

The tension that currently exists between the Vatican and the contingent of US bishops over the issue of Biden and the Eucharist signals a further escalation of the Catholic culture wars, which have now invaded the field of the Church's sacraments.

This is a new phenomenon.

While in the past century some in the Church have politicized certain popular devotions (e.g. to the Virgin Mary or the Sacred Heart), the sacraments were never politicized per se.

Indeed, the Holy Office did excommunicate Communists in 1949, during the pontificate of Pius XII. But this is not a fitting example, because it is the story of a failure.

When the then-Cardinal Angelo Giuseppe Roncalli's private secretary told him that some overzealous Catholics had complained about seeing Communists receive Holy Communion during a Mass at his Sotto il Monte birthplace, the future John XXIII explained:

A person comes to the confessional, not the party or an ideology. This person is entrusted to our catechesis, our love, and our pastoral inventiveness.

It is necessary to proceed on a case-by-case basis, with extreme caution. If you force something on them drastically, they will not understand you, or they will understand backwards; if you reject them, they will go away and never come back.

What's happening to Catholicism in the United States?

Pope Francis and his Vatican aides are trying to protect Joe Biden's access to the sacraments.

This was made especially clear in a letter that Cardinal Luis Ladaria, prefect of the Congregation for the Doctrine of the Faith, send to the USCCB president last May.

The pope's concern is not so much about Biden, but about what is happening to Catholicism in the United States.

What is at stake here is the catholicity of the Catholic Church -- in the sense of non-sectarian and non-partisan.

This is not only a problem of the Church's credibility, but also of its self-understanding as a sacrament of salvation, as stated in the first chapter of Lumen gentium, the Vatican II constitution on the Church.

The Catholic Church is currently living a moment that is the closest we can get to the time of the Council.John XXIII called Vatican II in 1959 and published his most important encyclical, Pacem in Terris, in April 1963, a few months after the Cuban missile crisis.

The context was the Cold War, and the pope's intention was not just to contribute to world peace, but also to protect the Church from the all-absorbing ideological clash between Communism and the "free world".

A battlefield for the culture wars

In a similar way, Pope Francis has reintroduced a synodal culture in the Church and has opened a worldwide "synodal process" in the context of the culture wars.

He is trying to rescue the Church's capability by rebuffing the constant calls to align with a single "us vs. them" civilizational and political identity – calls that are especially loud within US Catholicism.

A clear example of what the pope is up against was manifest recently by Archbishops José Gomez, the USCCB president, while delivering a deeply divisive address via video to a conference in Spain. Gomez shocked many Catholics by attacking movements of "social justice", "wokeness", "identity politics", "intersectionality" and "successor ideology", calling them pseudo-religions.

This blatant case of the USCCB's politicization comes at a time when the Church can least afford it.

As Archbishop Mark Coleridge, president of the Australian Bishops' Conference, tweeted on November 12, "If the Eucharist is made a marker of difference (hence exclusion) rather than a sacrament of communion (hence inclusion), we have the second rather than the first.

"The whole question is whether we see the Church as "a field hospital", as Francis defined it in his September 2013 interview with Antonio Spadaro SJ, or whether we see it as a battlefield for the culture wars.

The battlefield is all about separating those who are friends from those who are the enemies.

Paraphrasing Carl von Clausewitz's famous dictum about politics and war, it could be said that in the Catholic Church the extension of the battlefield mentality to the sacraments is the continuation of the culture wars by other means.

Read more at: https://international.la-croix.com/news/signs-of-the-times/field-hospital-or-battlefield/15213?utm_source=NewsLetter&utm_medium=Email&utm_campaign=20211120_mailjet

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