USA - Où se trompe la lettre de Benoît sur les abus sexuels - LCI 22/05/2019

Ce défenseur implacable de l'existence d'actes intrinsèquement diaboliques refuse d'appeler ces actes par leur nom moral fondamental : le viol d'enfant

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Où se trompe la lettre de Benoît sur les abus sexuels

Ce défenseur implacable de l'existence d'actes intrinsèquement diaboliques refuse d'appeler ces actes par leur nom moral fondamental : le viol d'enfant

 

Cathleen Kaveny, le 22 mai 2019

Cathleen Kaveny enseigne le droit et la théologie au Boston College aux États-Unis.

 

 

Le débat sur l'intervention récente de Benoît XVI dans la crise des abus sexuels s'est concentré sur ses causes profondes. Au grand plaisir des conservateurs et à la consternation des progressistes, il met en cause la moralité sexuelle laxiste des années 1960 plutôt que le phénomène très présent du cléricalisme.

À mon avis, le problème de la lettre de Benoît est beaucoup plus fondamental et il dépasse le fossé progressiste-conservateur américain. Benoît se trompe sur la description morale des actes d'abus sexuels. Il les décrit comme des actes de sacrilège plutôt que comme une grave injustice.

Et alors me direz-vous ? Benoît pense clairement que ces actions sont inacceptables, pourquoi s’acharner sur les détails ? Parce que les détails sont importants, à la fois théoriquement et pratiquement. Si nous décrivons une faute mais que nous ne parvenons pas à en saisir la réalité morale sous-jacente cela peut conduire à des stratégies désastreuses pour conduire la réforme de l’Eglise.

Quelle est la description morale fondamentale d'un acte d'abus sexuel par le clergé ? Est-ce un acte d'injustice terrible envers les personnes vulnérables, en particulier les enfants ? Si tel est le cas, les abuseurs sexuels appartenant au clergé appartiennent à la même catégorie que ceux qui ont trahi de par leur position d'autorité : ils sont comme des enseignants, des chefs scouts et des professionnels de la santé abusifs.

Par la déviance de leur pouvoir, ils ont infligé des dommages physiques et psychologiques à leurs victimes. Dans cette perspective, le fait que l'auteur soit un prêtre catholique est une circonstance qui exacerbe l'illicéité de l'acte mais ne modifie pas sa description morale fondamentale en tant qu'acte injuste.

Ou bien faut-il comprendre l'abus sexuel par le clergé comme un sacrilège grave ? Si tel est le cas, les abus sexuels commis par des membres du clergé devraient être regroupés avec d'autres actes sacrilèges, tels que la profanation de l'hostie, le blasphème contre Marie et tout acte grave commis dans un lieu saint.

Dans cette perspective, le fait que l'auteur soit un prêtre n'exacerbe pas le fait illicite ; il en constitue le noyau. Le prêtre souille ses vœux sacrés. Le fait qu'il agisse de la sorte en abusant d'un enfant ajoute à la faute, mais ne modifie pas sa description morale fondamentale : il s'agit d'un acte de sacrilège, semblable à la célébration d'une messe noire.

 

Conséquences dangereuses

La lettre de Benoît semble mettre l'abus sexuel du clergé dans la catégorie du sacrilège, pas de l'injustice. Il n'utilise cependant pas le terme "sacrilège". Mais c’est la catégorie qui correspond le mieux à sa description de la raison pour laquelle l’acte est mauvais, en particulier lorsque le sacrilège est compris au sens large comme une violation ou une mauvaise utilisation du sacré. Il présente la victime principale comme la foi elle-même et non comme des enfants dont l'intégrité a été violée.

 

Selon Benoît, la "situation alarmante" est que "la foi ne semble plus devoir être protégée". Ce qui l’ennuie le plus chez une des victimes qu’il a rencontrées, c’est qu’elle ne peut plus entendre les paroles de la consécration sans trembler, car le prêtre agresseur les a utilisées au cours de la maltraitance. Il ne dit rien sur la manière dont la violence a blessé tout le cours de sa vie. Il ne lance pas un appel énergique à la protection des enfants mais nous implore de "faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger le don de la Sainte Eucharistie contre les abus".

L'approche de Benoît a des conséquences dangereuses. Si la vraie victime est la foi, alors la tâche primordiale est de protéger l'institution Église, gardienne du corps mystique du Christ dans le temps.

 

Si la pire conséquence de la crise est la perte de confiance généralisée dans la crédibilité de l'Eglise, il est alors préférable de traiter les cas particuliers en douceur afin de ne pas scandaliser les fidèles. Les prêtres fautifs doivent rapidement retourner à l’état laïc pour ne pas continuer à souiller le Corps du Christ. Une fois qu'ils ne font plus partie de la hiérarchie, ils ne sont plus le problème de l'Église.

Les victimes devraient être encouragées à rester silencieuses, pourquoi pas avec un accord de confidentialité juridiquement contraignant, afin de ne pas compromettre la capacité de l'Église à transmettre la foi. Ils devraient être découragés de réclamer des dommages financiers à l'Église, qui est la première et fondamentale victime de la faute du prêtre.

Enfin, la justice ne devrait pas être impliquée dans la plupart des cas, car son implication masque la nature mystique et transcendante du problème.

En définissant l'infraction fondamentale comme un sacrilège, Benoît renforce la ligne désastreuse qui a guidé la réponse de l'Église à la crise des abus au cours des 50 dernières années. Il fournit une noble raison théologique de protéger l'institution plutôt que les victimes, il n'offre pas un chemin droit vers la réforme mais plutôt un détour par la boue.

L'intervention de Benoît est ironique. Il accuse les théologiens moraux progressistes d'être responsables de la crise, affirmant qu'ils ne se penchent que sur le mobile et les circonstances des actes plutôt que sur le poids moral de l'acte lui-même. Mais Benoît lui-même est celui qui refuse de regarder de près les actes en question. Ce défenseur implacable de l'existence d'actes intrinsèquement diaboliques refuse d'appeler ces actes par leur nom moral fondamental : le viol d'enfant.

 

 

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What Benedict's letter on sex abuse gets wrong

This implacable defender of the existence of intrinsically evil acts refuses to call these acts by their most basic moral name: child rape

Cathleen Kaveny, May 22, 2019

Cathleen Kaveny teaches law and theology at Boston College in the United States.

The debate about Benedict XVI's recent intervention on the sex abuse crisis has focused on his account of its root causes. To the delight of conservatives and the consternation of progressives, he blames the lax sexual morality of the 1960s rather than the enduring phenomenon of clericalism.

In my view, the problem with Benedict's letter is far more fundamental. It also transcends the American progressive-conservative divide. He gets the basic moral description of the acts of sex abuse wrong. He frames them as acts of sacrilege rather than grave injustice.

So what? Benedict clearly thinks these actions are unacceptable — why quibble about details? Because details matter, both theoretically and practically. If we get the description of a misdeed wrong, we fail to grasp the underlying moral reality of the situation. That, in turn, can lead to disastrous strategies for reform.

What is the bedrock moral description of an act of clergy sex abuse? Is it a terrible act of injustice toward vulnerable persons, especially children? If so, then clergy sexual abusers belong in the same category as others who have betrayed their position of authority in this manner: they are like sexually abusive teachers, scout leaders and medical professionals.

Trading on their power, they have inflicted physical and psychological harm on their victims. In this perspective, the fact that the perpetrator is a Catholic priest is a circumstance that exacerbates the wrongfulness of the act but does not change its core moral description as an act of gross injustice.

Or should clergy sex abuse be understood most basically as a grave act of sacrilege? If so, clergy sex abuse should be grouped with other acts of sacrilege, such as desecration of the Host, blasphemy against the Blessed Mother and the commission of any serious moral wrong inside a holy place.

From this perspective, the fact that the perpetrator is a priest does not merely exacerbate the wrongful act; it constitutes the core of it. The priest is befouling his holy vows. The fact that he does so by abusing a child adds to the wrong, but does not change its core moral description—it is an act of sacrilege, akin to celebrating a Black Mass.

Dangerous consequences

Benedict's letter seems to put clergy sex abuse in the category of sacrilege, not injustice. He does not use the term "sacrilege." But it is the category that best fits his account of why the act is wrong, especially when sacrilege is understood broadly as a violation or misuse of the sacred. He presents the major victim as the Faith itself — not the children whose integrity was violated.

According to Benedict, the "alarming situation" is that "the Faith no longer appears to have the rank of a good requiring protection." What bothers him most about one of the human victims he encountered is that she can no longer hear the words of consecration without distress, because her priest-attacker used them in the course of the abuse. He says nothing about how the abuse would have affected the entire course of her life. He does not issue a forceful call to protect children but rather implores us to "do all we can to protect the gift of the Holy Eucharist from abuse."

Benedict's approach has dangerous consequences. If the real victim is the Faith, then the overriding task is to protect the institution of the Church, which instantiates the mystical Body of Christ in time.

If the worst consequence of the crisis is the widespread loss of faith in the church's credibility, then it is better to handle specific instances quietly — so as not to scandalize the faithful. Offending priests should be quickly laicized so that they do not continue to befoul the Body of Christ. Once they are no longer part of the hierarchy, they are no longer the Church's problem.

Victims should be encouraged to remain quiet, perhaps with a legally binding confidentiality agreement, so that they don't erode the Church's ability to pass on the faith. They should be discouraged from seeking monetary damages from the Church, since it is the original and primary victim of the priest's transgression.

Finally, secular law enforcement should not be involved in most cases, since their involvement occludes the mystical and transcendent nature of the problem.

By framing the basic offense as a matter of sacrilege, Benedict reinforces the disastrous playbook that has guided the Church's response to the abuse crisis for the past 50 years. He provides a lofty theological rationale for protecting the institution rather than the victims. He offers not a clean, well-lighted path to reform but rather a detour back into the muck.

Benedict's intervention is ironic. He blames revisionist moral theologians for the crisis, claiming that they look only at the motive and circumstances of sinful human actions rather than focusing on the moral quality of the act itself. But Benedict himself is the one who refuses to look closely at the sinful acts in question here. This implacable defender of the existence of intrinsically evil acts refuses to call these acts by their most basic moral name: child rape.

 

 

 

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