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Le calme avant la tempête En attente du plan radical de réforme du pape pour limiter la Curie Romaine - 9 nov. 2018

Version en pdf : La reforme de la curie 181109 mickensLa reforme de la curie 181109 mickens

 

Robert Mickens, Rome, Vatican City

La Croix International - November 9, 2018

Texte original : anglais

Traduction C. Mignonat

 

Certains l’anticipent prudemment  avec des attentes pleine d’espoir, d’autres la craignent avec effroi et désespoir : c’est la réforme et la restructuration à venir de la Curie Romaine

Comme Massimo Faggioli l’a souligné récemment, ce pourrait être l’un des changements de structure les plus significatifs que le pape François fasse avec détermination – contesté par quelques membres de la hiérarchie – pour mener vers une Eglise plus décentralisée et synodale.

Le pape jésuite a passé la totalité de son pontificat à travailler sur la réforme de la curie avec l’aide d’un groupe international de conseillers experts appelés le Conseil des cardinaux (C9).

Quand il a annoncé la mise en place de cet organisme sans précédent juste  quatre semaines après avoir été élu évêque de Rome, il a dit que son rôle était « de le conseiller dans le gouvernement de l’Eglise universelle et d’étudier un plan de révision  de la « constitution apostolique » qui définit l’objet et les structures de la Curie.

Beaucoup d’observateurs ont fait peu de cas du mandat principal du C9 (conseiller le pape sur la gouvernance mondiale de l’Eglise) et se sont concentrés presqu’exclusivement sur sa tâche secondaire et plus particulière à savoir- la réécriture de la constitution apostolique. Ils prévoyaient l’achèvement du projet au bout d’un an environ.

Au lieu de cela, la réforme n’a pas été encore bouclée malgré le fait que François ait été à l’oeuvre juste quelques mois en six ans.

Pendant cette longue période ceux qui voulaient la réforme avec impatience ont exprimé leur frustration que ce vieux pape de 81 ans n’agisse pas plus rapidement.

Mais, en fait, François a mis en place des changements majeurs dans les structures du Vatican tout au long de ce temps là. En réduisant et fusionnant de nombreux services, par exemple il a déjà commence à changer le visage de la curie

A cause de cela, comme une réforme globale n’est pas révélée, cela peut ne pas sembler percutant. Mais avec un pape qui n’a pas peur d’initier des changements, il ne faut rien parier. Nous le trouverons tous très bientôt.

Il est certain qu’avant que François ne commence la 7ème année de son pontificat en mars prochain, le premier “outsider romain” à être élu pape depuis 100 ans (le premier depuis Pie X à ne pas avoir étudié et travaillé à Rome) aura émis un document qui est à même de re-former radicalement la bureaucratie centralisée de l’Eglise Catholique.

 

 

Praedicate Evangelium

Un projet  presque « final » de la nouvelle constitution apostolique de la Curie était déjà à l’étude l’été dernier. Greg Burke, chef de la salle de presse du Saint Siège a dit aux journalistes en juin qu’on lui avait donné un titre provisoire -- Praedicate Evangelium (Prêchez l’Evangile). (impératif et non infinitif)

Depuis lors, les chefs des différents services du Vatican ont eu l’opportunité d’examiner le brouillon et de faire de nouveaux commentaires et recommandations. Le contenu du texte, cependant a été gardé secret.

Nous savons une chose certaine, c’est que le pape François veut décentraliser l’autorité décisionnelle dans l’Eglise. Et cela veut dire que beaucoup de services du Vatican – en particulier les congrégations qui ont traditionnellement agi  comme surveillants des diocèses locaux. Des institutions ecclésiales et des personnalités catholiques autour du monde sont à même de perdre un réel pouvoir.

« Les dicastères de la Curie romaine sont au service du pape et des évêques. Ils doivent aider  à la fois les églises particulières et les conférences des évêques.. Ce sont des instruments d’aide » a déclaré le pape en septembre 2013 dans une interview majeure avec le jésuite italien Antonio Spadaro.

« Dans certains cas, cependant, quand ils ne fonctionnent pas bien, ces services courent le risque de devenir des institutions de censure » a fit François. Il a ainsi proclamé des paroles qui ont provoqué une onde de choc à travers le Vatican : « Les congrégations romaines sont des médiateurs, elles ne sont ni des entremetteurs ni des managers. »

Le pape a donné cette interview alors qu’il mettait la touche finale à son document le plus important à ce jour : l’exhortation apostolique Evangelii gaudium, son plan pour la réforme et le renouveau de l’Eglise.

« Il n’est pas recommandé pour le pape de prendre la place des évêques locaux dans le discernement de tous les sujets qui adviennent sur leur territoire. En ce sens, je suis conscient de la nécessité de promouvoir une saine décentralisation » a-t-il écrit.

« Une excessive centralisation, au lieu d’apporter de l’aide, complique la vie de l’Eglise et sa tâche missionnaire » a-t-il ajouté.

Les offices de la Curie romaine ont été l’instrument par lequel les papes ont maintenu historiquement leur contrôle centralisé sur l’enseignement, la liturgie et beaucoup d’autres sphères de la vie de l’Eglise et des pratiques à travers le monde.

Ces offices ont souvent agi comme une extension du pape comme s’ils partageaient son autorité. Leurs chefs (presque toujours cardinaux) se sont arrogés un échelon spécial sur l’échelle hiérarchique de l’Eglise entre le reste des évêques du monde et l’Evêque de Rome.

François a déjà commencé à corriger cela en supprimant l’autorité d’enseignement et de gouvernance de nombreux offices du Vatican (en particulier la Congrégation pour la Doctrine de la Foi) en mettant en place un moratoire implicite sur la publication de leurs documents normatifs.

 

 

Il y a eu seulement un goutte à goutte sous ce pontificat comparé à la marée d’instructions, de notification et de directives vaticanes dont les offices de la Curie romaine ont inondé l’Eglise, notamment sous Jean Paul II et Benoît XVI.

Nous pouvons attendre que la nouvelle constitution apostolique apportera des changements à la fois juridiques et organisationnels à la curie pour garantir qu’elle existe seulement pour servir le pape et les évêques locaux et qu’elle n’a pas d’autorité pour les contrôler ou s’interposer entre eux.

 

A la rencontre des chefs des services de la curie

Il y a quelques 40 offices qui constituent la bureaucratie centralisée de l’Eglise à Rome. Ils sont officiellement connus sous le nom de « dicastères ».

La constitution apostolique en vigueur sur la curie Pastor Bonus, les définit comme suit :

« La Secrétairerie d’Etat, les congrégations, les tribunaux, les conseils et les offices, à savoir la Chambre Apostolique, l’Administration du Patrimoine du Siège Apostolique, et la Préfecture pour les Affaires Economiques du Saint Siège ».

Elle affirme que les dicastères sont juridiquement égaux entre eux, cependant, en réalité, il existe un ordre de préséance bien établi.

Le Secrétariat d’Etat, les tribunaux et les congrégations ont traditionnellement gardé la suprématie sur le reste, du fait de leur plus longue histoire et /ou leurs fonctions plus prestigieuses.

Il n’est pas rapporté dans la liste officielle des audiences du pape, mais cela est sorti dans des conversations privées, que le pape François a tenu une réunion le mois dernier avec les chefs de dicastères du Vatican pour discuter Praedicate Evangelium, le document qui va remplacer Pastor Bonus.

Evidemment la réunion fut tendue. De nombreux chefs actuels de la Curie n’appréciaient pas plusieurs changements figurant dans le nouveau projet de texte. L’un d’eux concernait la durée limite stricte de 5 ans que la nouvelle constitution souhaite fixer aux dirigeants responsables de la curie et aux prêtres travaillant dans les bureaux.

Actuellement, les clercs et les religieux sont employés pour un contrat initial de 5 ans. Mais, le plus souvent, leur fin de service est prolongée voire indéfiniment. Ceci a créé une situation où prêtres et évêques ont passé des décennies et plus de leur sacerdoce à servir dans un office romain.

Par exemple, Mgr Marcelo Sanchez Sorondo, un évêque argentin de 76 ans qui est venu à Rome peu après son ordination en 1968 en est actuellement à son quatrième mandat de 5 ans comme chancelier de l’Académie Pontificale des Sciences Sociales.

Un autre argentin, le cardinal Leonardo Sandri, est dans sa 12ème année comme préfet de la Congrégation pour les Eglises Orientales.

Un diplomate du Saint siège expérimenté, qui allait sur ses 75 ans a passé la plupart de sa vie à travailler dans le Vatican.

 

 

Beaucoup d’autres chefs de congrégations ou de conseils pontificaux dans le passé ont passé facilement une douzaine ou plus d’années à la tête de leurs offices. N’oublions pas  Benoît XVI qui a passé plus de 23 ans à la tête de la Congrégation  pour la Doctrine de la Foi avant de devenir pape.

Tuer le cléricalisme

Mais sur le long terme, c’est la présence de cadres intermédiaires dans ces dicastères du Vatican que le pape François trouve le plus inquiétant. La plupart sont de simples gratte-papiers. Ils vivent dans des appartements ou des résidences de prêtres sans aucune relation au travail pastoral avec des laïcs.

Certains sont chapelains dans des couvents de religieuses ou aident dans les séminaires. Beaucoup viennent travailler à Rome juste quelques années après leur ordination avec une expérience insuffisante du service en paroisse.

Un fois qu’ils ont servi 5 ans dans un office de la curie, ils ont presque la garantie de recevoir le titre honorifique de “monsignor.”

Un de mes camarades du « North American College » en est un exemple typique.

Ordonné en 1990, il a passé seulement deux ans dans son diocèse avant d’être envoyé travailler dans une congrégation romaine majeure. Il a fait ses 5 ans de service et en 1999, à l’âge de 35 ans, il a été nommé chapelain d’honneur de  Sa Sainteté, un « monsignor ».

La préoccupation des titres et des places hiérarchiques à Rome, en particulier dans la Curie romaine, aussi bien des prêtres que des gens, participent au maintien du cléricalisme.

C’est une règle (malgré quelques exceptions) que chaque chef d’un office majeur du vatican soit cardinal ou archevêque.

Vraisemblablement, c’est parce que seulement ceux qui sont dans les Ordres Sacrés possèdent l’autorité d’enseignement officielle dans l’Eglise et peuvent avoir juridiction sur les clercs.

Mais dans une Curie romaine réformée qui est plus clairement au service du pape et des évêques, une telle autorité ne serait pas nécessaire. Et cela aiderait si tous les titres honorifiques étaient supprimés en particulier celui de « monsignor ».

Le pape François a décrété en 2014 qu’aucun prêtre diocésain de moins de 65 ans ne pouvait recevoir ce titre honorifique, mais la Curie romaine a regimbé et l’ancienne disposition n’a pas été changée pour les prêtres travaillant au Vatican ou les diplomates du pape. Peut être la nouvelle constitution changera-t-elle cela.

 

Introduction d’un soutien supplémentaire

Mais jusqu’à ce que la version finale de Praedicate Evangelium (ou quel que soit son titre) soit écrite et coulée dans le bronze, le pape François doit continuer à jouer –plus ou moins- avec les règles anciennes qui ont longtemps gouverné le jeu des manœuvres ecclésiastiques à Rome. Il continue à donner des titres à ses aides, pour les armer de l’influence et du pouvoir pour exécuter ses ordres.

 

 

Signe qu’il se prépare à de futures résistances à la réforme programmée de la Curie romaine, le pape a ajouté un nouveau participant au groupe C9 des conseillers.

Le 27 octobre il a nommé Mgr. Marco Mellino, un expert canoniste, comme secrétaire adjoint de son Conseil.

Cet italien du nord de 52 ans a terminé récemment un service de 12 ans à la Secrétairerie d’Etat. Et il sera ordonné évêque le mois prochain par l’homme pour qui il travaillait – le cardinal Pietro Parolin, qui est aussi un membre clef du C9.

Le pape François aura besoin de tout le renfort possible des clercs de Rome

Sa réforme de la curie ne doit probablement pas être très populaire, en particulier parmi les prêtres et les évêques qui ont passé de nombreuses années dans les couloirs du Vatican.

La radicalité des changements à venir n’est pas évidente. Mais le calme relatif bien que crispé qui plane actuellement sur le Vatican est certainement le prologue d’un document qui probablement doit déchainer une tempête du diable.

 

 

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Date de dernière mise à jour : 06/01/2019