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La fin de la captivité trumpienne de l'Église américaine

 

La défaite de Donald Trump et le combat pour l'âme religieuse de l'Amérique

 

Massimo Faggioli      États-Unis

 

Le fait que les États-Unis n'aient pas pu connaître le nom de leur nouveau président avant plusieurs jours après la fermeture des bureaux de vote a été comme le châtiment corporel d’un pays contraint d'expier douloureusement.

Nous savons maintenant qu'il appartiendra au catholique Joseph R. Biden Jr d'entamer le processus de guérison des blessures morales et physiques que Donald J. Trump a infligées au pays par la gestion de la pandémie de coronavirus et de la crise de la mondialisation.

Biden est le deuxième catholique, après John Fitzgerald Kennedy (1961-1963), à être élu à la plus haute fonction du pays. Et il n'est que le quatrième catholique - après John F. Kerry (2004), Kennedy et Alfred E. Smith (1928) - à être le candidat d'un grand parti à la Maison Blanche.

La présidence américaine n'est pas seulement une fonction politique : elle comporte aussi des aspects moraux et religieux. Joe Biden assumera cette fonction à un moment où les identités politiques au sein de son pays ont pris une coloration théologique et dogmatique.

Un réajustement de la relation politique entre Washington et le Vatican

Le catholicisme américain n'est pas détaché du reste du monde et il est au centre des convulsions du corps de l'Église. On peut s'attendre à un réajustement des relations entre les États-Unis et le Vatican dans le cadre de la présidence Biden, même s'il existe des inconnues importantes sur certaines questions internationales. Mais cette correction devra faire face à une Église américaine profondément divisée comme l’est le catholicisme mondial.

Un des fruits de la mondialisation est l'opposition au pape François.

Le pape jésuite latino-américain transmet son message sur les questions importantes (telles que les femmes, l'homosexualité, l'environnement...) de manières et par des canaux différents de ceux utilisés par ses prédécesseurs. Ce message est reçu de manière contrastée dans les différentes parties du monde.

La confrontation sans précédent entre l'administration Trump et l'actuel pontificat a commencé très tôt avec la question de l'immigration et elle s'est poursuivie jusqu'au mois dernier lorsque le secrétaire d'État américain, Mike Pompeo, a publiquement tancé le Saint-Siège pour son accord de 2018 avec la Chine (qui a depuis été renouvelé).

On ne sait pas exactement dans quelle mesure cette hostilité ouverte a eu un impact sur les résultats de l'élection présidentielle américaine, mais elle a eu un effet très évident sur l'Eglise. Elle a contribué à approfondir le clivage au sein du catholicisme américain, comme en témoignent un certain nombre d'évêques et de prêtres qui continuent à soutenir Donald Trump jusqu'au bout, soit par l'intermédiaire du nouveau système de médias catholiques indépendants, soit par les réseaux sociaux.

La tentative de Donald Trump de diviser et de conquérir les catholiques américains

Au cours des quatre dernières années, la Maison Blanche (par l'intermédiaire de fonctionnaires comme Steve Bannon et Mike Pompeo) a dirigé une action politique poussant à la division de l'Église, pour et contre le pape François.

Une poignée d'évêques américains et un certain nombre de laïcs catholiques très en vue ont donné leur bénédiction à cette tentative. Si leur effort a globalement échoué, il se poursuit néanmoins dans une Église divisée comme jamais auparavant. Les « guerres de culture » ont pris la forme de guerres théologiques intra-ecclésiales et exposent le catholicisme américain au risque d'un schisme mou.

La présidence de Trump et les élections de 2020 ont montré à quel point les deux partis ecclésiaux catholiques se sont identifiés aux partis politiques.

Si ce phénomène existe en partie au sein du groupe de catholiques qui soutiennent Biden, il est beaucoup plus puissant au sein de la fraction catholique qui soutient Trump. Il a transformé l’orthodoxie théologique en orthodoxie politique, laissant ainsi très peu de place à la diversité.

L'échec moral du catholicisme institutionnel aux États-Unis se manifeste dans les tentatives désespérées de mettre un terme au programme LGBTQ et dans l'incapacité de l'Église à parler d'une seule voix sur la question du racisme.

La paralysie intellectuelle et morale de la hiérarchie catholique américaine

L'Église hiérarchique semble accepter sans broncher tout ce qui vient de l'administration Trump, sauf sur la question de l'immigration, la question catholique par excellence.

Par exemple, la Conférence des Evêques Catholiques Américains (USCCB) a refusé de s’exprimer sur les tentatives flagrantes du parti républicain de manipuler le processus électoral et d'empêcher les minorités (dont beaucoup de catholiques) de voter. Il ne s'agissait pas seulement d'une aphasie tactique, c'était le dernier signe d'une paralysie intellectuelle et morale qui s'est emparée de l'USCCB.

Elle était déjà évidente sous la présidence d'Obama, lorsque qu’elle n'a pu prendre position sur les questions économiques et sociales liées à la grande récession de 2008.

Il est vrai qu'une partie importante du catholicisme américain a soutenu Donald Trump contre le parti démocrate. Ce fut un véritable virage anti-démocratique qui représente une rupture dans l'histoire intellectuelle de l'Église aux États-Unis. La réconciliation entre le catholicisme et la démocratie constitutionnelle au 20e siècle fait partie de l'histoire américaine. À partir de l'exil américain de Jacques Maritain[1] et Luigi Sturzo[2] pendant la Seconde Guerre mondiale, les penseurs catholiques aux États-Unis ont jeté les bases d'une théologie moderne de la liberté religieuse, qui a culminé avec la contribution du théologien jésuite John Courtney Murray[3] au Concile Vatican II (1962-65).

Les catholiques et le mouvement néo-conservateur

Au milieu des années 1980, on a assisté à l'émergence du mouvement néo-conservateur aux États-Unis, dans lequel les catholiques ont joué un rôle central. Il intègre des personnes et des publications comme Richard John Neuhaus[4] et le magazine First Things[5]. Depuis le début des années 2000, puis en crescendo après l'élection de Benoît XVI en 2005, les mouvements néo-conservateur et théo-conservateur ont muté en un seul mouvement néo-intégriste et néo-traditionaliste.

Son credo est, par le rejet de Vatican II, le rejet de la modernité théologique et politique.

À l’époque où l'establishment du WASP[6] s'effondrait, l'Amérique conservatrice appelait à un catholicisme qui ne soit plus seulement conservateur ou post-libéral, mais ouvertement anti-libéral.

Le modèle n'est plus Jean-Paul II ou Joseph Ratzinger, c'est maintenant Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, champion déclaré de la démocratie « illibérale ».

L'agnosticisme constitutionnel de l'USCCB a étouffé la capacité des évêques à faire face aux menaces de Donald Trump contre le système démocratique. Les catholiques américains s'attendaient à juste titre à ce que leurs évêques disent quelque chose. A leur place ce sont les religieuses qui ont pris la parole !

Une Église catholique qui tente de protéger sa propre liberté, tout en ignorant celle des autres, finit par la perdre, tout en ayant perdu ce minimum de respect et d'estime de soi nécessaire pour agir sur la place publique. Un président qui menace les fondements de la communauté politique et civile est également une menace pour la liberté religieuse. L'autorité morale, le prestige culturel et la cohésion du catholicisme américain ont été gravement blessés aux yeux d'un pays qui devient de plus en plus laïque, d'autant plus que la crise des abus sexuels reste identifiée comme un scandale exclusivement catholique - aussi injuste que cela puisse être, les abus étant un problème qui touche toutes les institutions s'occupant des jeunes et des personnes vulnérables-.

Aux USA le catholicisme de Vatican II est dans un « no man's land »

Si les États-Unis sont un géant malade, les Eglises américaines le sont aussi ; et ce n'est pas seulement du côté conservateur. Aux États-Unis la vie intellectuelle du catholicisme conciliaire se trouve actuellement dans une sorte de no man's land. Le progressisme religieux, celui qui se définit autour des questions sociales, s'exprime aujourd'hui dans un langage ni ecclésial, ni institutionnel.

Un vide a été créé qui est en train d'être comblé par un militantisme catholique néo-intégriste et anti-moderne, tant dans la vie politique que dans le débat intellectuel. La disparition de Trump n’y changera rien.

Le résultat des élections américaines est un indicateur de l'état de l'Église catholique en Amérique et de la réception du pontificat de François.

Des fonctionnaires proches de Trump - comme Pompeo, Bannon et Newt Gingrich, dont la troisième épouse est actuellement l'ambassadeur des États-Unis auprès du Saint-Siège - ont essayé de trouver des appuis au Vatican, en Italie et en Europe pour créer une tête de pont d'un catholicisme néo-nationaliste allié à la droite européenne. Ils ont échoué dans cette quête.

Un combat pour l'âme religieuse de la démocratie américaine

La crise existentielle du catholicisme aux États-Unis n'est pas résolue. Par l’involution dans son âme religieuse -l'Église catholique y  joue un rôle particulier et unique- la démocratie américaine est en péril.

Grâce à Joe Biden, le parti démocrate s'est exprimé de manière plus convaincante, dans un langage intelligible pour les électeurs religieux. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant qu'il ne puisse arracher aux républicains le drapeau du "parti de Dieu".

Aujourd'hui le catholicisme intellectuel et politique de droite américain  va du néo-conservatisme qui prétend s'inspirer (de manière très sélective) de Jean-Paul II et de Benoît XVI à un néo-fondamentalisme qui a pris pour inspirateur Carl Schmitt[7], le théoricien politique de l'ère nazie.

Le catholicisme politique de gauche en Amérique doit regarder ailleurs. Biden est un catholique de Jean XXIII, mais ce serait une erreur de penser que son élection à la présidence est un substitut durable au catholicisme de Vatican II qui, au moins dans le contexte américain, a été fortement affaibli.

La relation de l'Église américaine à la politique rappelle celle de l'Église française entre les XIXe et XXe siècles. Mais les nouveaux militants catholiques américains semblent plus embrasser le nationalisme réactionnaire de Charles Maurras que la réconciliation entre catholicisme et démocratie de Jacques Maritain.

 

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