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L'Église en crise ? C'est le moment favorable ! Jean Rouet - Christus

Devant la crise que traverse l'Église catholique, l'auteur formule son rêve d'une communauté qui soit une maison fraternelle, accueillant les pauvres ...

Jean ROUET, prêtre diocésain, vicaire général honoraire chargé de la communication diocésaine, du suivi de la catéchèse et de la maison diocésaine, et prêtre coopérateur en paroisse sur Bordeaux. A publié « Voyage de l'intérieur » (Parole et Silence, 2015).

 

Devant la crise sans précédents que traverse l'Église catholique, l'auteur de cet article, vicaire général honoraire à Bordeaux, formule son rêve d'une communauté qui soit une maison abritant la fraternité, accueillant et prenant soin des pauvres et permettant le dialogue entre tous.

 

Comme un tremblement de terre, les secousses se suivent et se ressemblent : Irlande, États-Unis, Chili, Allemagne... et ce n'est pas fini ! Les agressions commises par des religieux, des prêtres, des évêques et des cardinaux ébranlent toute l'Église. Dans les diverses rencontres avec des communautés chrétiennes, les réactions sont toujours les mêmes : tristesse, sidération, colère, souffrance.

C'est tout un système qui est touché. De nombreuses causes sont à l'origine de cette crise. Chacun est requis, par le pape François, dans sa lettre au peuple de Dieu du 20 août 2018 pour « relever le défi en tant que peuple de Dieu », pour réagir. Voici ma contribution. Je rêve d'une Église au coude à coude avec chacun, où tous sont en chemin avec le Christ. Je rêve de fraternité, de pauvreté et de dialogue pour inspirer un nouveau système ecclésial qui donnerait corps à ce que le Christ a institué. Mais avant de rêver, d'où partons-nous ?

 

1   Un héritage de l'Histoire : le cléricalisme

Le Code de droit canonique de 1917 est comme l'aboutissement d'une Histoire qui a élaboré, depuis le Moyen Âge, en passant par le concile du Latran et celui de Trente, une ecclésiologie dans laquelle les clercs cumulent tous les pouvoirs. Dans cette vision pyramidale de l'Église, le Code ne laisse pas de place aux laïcs. Un seul paragraphe les concernait expressément, à savoir le canon 683 qui leur interdisait de porter l'habit clérical ! Pour le reste, avec tous les autres fidèles (religieux et laïcs), ils avaient le droit de recevoir des pasteurs « les biens spirituels et les secours nécessaires au salut ». La trace de cette vision d'une Église sans laïcs se retrouve dans le vocabulaire commun qui, jusqu'à ce jour, réduit l'Église aux seuls membres du clergé. Au départ de cette Histoire millénaire, il s'agissait de libérer les responsables de l'Église de l'influence des princes et des puissants. La réussite fut parfaite mais elle aboutit à la minoration totale des laïcs et aux abus des clercs dus à la concentration de tous les pouvoirs. Il ne s'agit pas de changer seulement les détenteurs du pouvoir mais de faire bouger la prise en charge par tous de la mission confiée par le Christ à son Église.

Le concile Vatican II a effectué une révolution copernicienne. Des textes majeurs ont été promulgués, des orientations fondamentales sur l'Église comme peuple de Dieu, corps du Christ, temple de l'Esprit donnent l'architecture des réformes. Mais les représentations sont longues à bouger, les résistances aux changements se sont affirmées. Le synode romain de 1985 sur « l'Église comme communion », pour les vingt ans de la clôture du dernier concile, cherche à impulser les réformes. La mise en œuvre du Concile est à peine commencée.

 

1.1 Le cléricalisme au quotidien

Regardons les attitudes, les regards et les pratiques dans lesquels peut se cacher en chacun du cléricalisme.

La posture du balcon

Elle consiste à regarder les gens d'en haut. Les présidents de célébration y sont très exposés : leur place sur les estrades des autels y prédispose. La position d'en haut consiste en un jugement spontané porté sur la foi des autres : «  Ils ne savent pas prier », « On ne leur a rien appris », « Ils n'ont jamais lu la Bible », « Théologiquement, ça ne tient pas », « Les pauvres, ils n'y connaissent rien! »... Insidieusement, avec la meilleure bonne volonté du bon apôtre, nous voilà en grand inquisiteur et pourfendeur de la vérité. Misère du regard et du cœur qui voit avec malveillance et non avec bienveillance ! Parce qu'ils ont un ministère et qu’ils sont ordonnés, les prêtres, évêques et laïcs en responsabilité peuvent s'autoriser à juger la foi des autres, qui plus est, pour sauver leurs âmes...

Un contrepoison existe, il se trouve dans le récit de la femme hémorroïsse (Mt 9, 20-22). Son geste est désespéré et il lui suffit, pour bien des raisons, de toucher seulement la frange du manteau du Christ. Celui-ci ne relève pas l'aspect magique du geste de cette femme, mais sa foi. Dans bien des rencontres, Jésus est toujours en admiration devant la foi des autres. Voilà donc le Bon Pasteur à imiter ! Admirer la foi des autres est un beau programme de transmission.

Le faiseur de leçons

C'est un réducteur ! Il réduit la vie à un comportement moral. Aucune profondeur, aucun mystère, aucune question, aucun doute, aucune recherche, aucun désir, seulement un devoir-être parfait ! La sexualité, c'est comme ça ! La vie de famille, c'est comme ça ! Voilà les valeurs à pratiquer ! J'en passe et des meilleures. Comme il est facile, dans la prédication, d'être un dénonciateur et non un annonceur de bonnes nouvelles. Si on n'y prend garde l'Évangile est une nouvelle loi et non une « vie avec ».

Le contrepoison est ici la parabole de la poutre et la paille, l'invitation à être l'ami du Christ, l'ami de chacun : « Moi non plus, je ne te condamne pas, va et ne pèche plus. » Nous voilà donc remis à notre place : seulement un disciple, un parmi la multitude des autres ! « La grâce des grâces est de se recevoir comme le plus humble membre des membres de Jésus Christ », écrivait Georges Bernanos. La concentration

Le problème n'est pas dans la responsabilité que l'on peut avoir, qu'il y ait des gens en charge est nécessaire. Mais nous avons beaucoup concentré les paroisses et les responsabilités en fonction de la raréfaction des prêtres. (J'y ai bien trop participé !) On veut toujours remplir toutes les cases et occuper tout le terrain. Les craquements et les scandales que nous avons à affronter sont un creuset pour l'émergence de nouvelles manières de vivre le ministère apostolique et de nouvelles figures ministérielles en vue du partage de l'annonce de la Bonne Nouvelle.

La niche liturgique

Que de conflits autour du répertoire des chants, des positions des uns et des autres, de la langue employée ? Que dire des modes vestimentaires ? On n'arrête pas en liturgie de parler d'objets sacrés, de respect du sacré ; les signes de croix et les bénédictions font fureur... Il semble même que, dans certaines manières de présider, les clercs ont droit à plus que les autres : certains peuvent toucher d'autres non, mais de quel droit fondé sur les évangiles ? Cette notion de sacré oublie que la sainteté de Dieu en régime chrétien se concentre dans cette parabole de Matthieu 25, 35: « J'avais faim, et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli... » Le seul sacré véritable est l'homme et la femme, le frère et la sœur à servir et à aimer : voilà le véritable temple du Saint Esprit en qui le Christ se reconnaît.

1.2 Quelques questions pour visiter nos pratiques

Des questions peuvent nous aider à débusquer nos abus, puisque le cléricalisme est un abus de pouvoir : Avec qui j'élabore les décisions à prendre ? Dans le déroulement de l'action, où ai-je intégré un autre apport que le mien ? Ai-je confié réellement une part de la mission à accomplir ou bien suis-je toujours dans la surveillance ? Où en suis-je du respect du principe de subsidiarité ? Si mon cercle est exclusivement constitué de clercs, si les femmes sont cantonnées à des rôles d'exécution, si je me drape dans ma dignité sacerdotale pour imposer... oui, alors j'abuse et je tombe sous le coup des remarques incisives du pape François : « Le cléricalisme, favorisé par les prêtres eux-mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons aujourd'hui. Dire non aux abus, c'est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme. »[1]

 

2    Bâtir ou rêver, ou les deux ensemble

Au regard du système qui, dans le dernier millénaire, a donné corps à l'institution ecclésiale et a développé le cléricalisme, dans quelles directions l'Église doit-elle réformer son organisation ? Trois pistes me semblent à parcourir : la fraternité comme ciment, la pauvreté comme moyen, le dialogue comme pratique.

2.1 La fraternité comme ciment

« Va vers mes frères et dis-leur : je vais vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu » (Jn 20, 17). C'est la première parole du Ressuscité à la sortie du tombeau et c'est une femme qui est en charge de la première prédication aux Apôtres eux-mêmes, Marie Madeleine, l'apôtre des Apôtres !

La fraternité est d'abord une donnée théologale. Jésus, le fils de Dieu, nous est « devenu semblable » en tout pour que nous devenions en lui des fils de Dieu La fraternité chrétienne n'est pas une associa-don entre amis qui se mettent d'accord sur des points essentiels, elle résulte de la seule paternité de Dieu. On ne choisit pas ses frères et ses sœurs, on les reçoit. Il y a donc une égale dignité des hommes et des femmes, des noirs et des blancs, des grands et des petits, de ceux qui sont en bonne santé et des autres, etc. Le partage des responsabilités et le poids des charges confiées sont seconds, le baptême en atteste.

Quand l'Église apparaît d'abord comme un corps hiérarchisé, un corps divisé entre clercs et laïcs, elle donne une image déformée du corps. Comment cela se manifeste-il ?

Que donnons-nous à voir ?

Dans nos assemblées, il y a ceux qui sont dans le chœur et ceux qui n'y ont pas droit, il y a ceux qui ont droit seulement au pain eucharistique et ceux qui ont droit au pain et au vin, il y a ceux qui peuvent servir à l'autel et ceux qui ne peuvent servir que l'assemblée. Les marques de séparation sont extrêmement visibles, comme ne fallait pas se mélanger les uns aux autres. Le Jeudi saint, le président de la célébration lave les pieds de douze fidèles mais, le reste de l'année, il est en position haute et distante. Il préside à toutes les décisions comme s'il était le seul à pouvoir décider. Jésus traçait le chemin, indiquait la direction, accueillait la parole du Père pour s'en faire l'écho. Il annonce l'Évangile et il guérit. Peut-on imaginer une manière de célébrer qui parle davantage de notre égale dignité baptismale avec, au centre de tous les regards, l'homme à la main desséchée et l'enfant ?

 

 

Que donnons-nous à entendre ?

« Il nous faut imiter notre Seigneur Jésus Christ en reprenant notre vraie place. Pas celle des honneurs et des ronds de jambe, des "Monseigneur", des "Cher Père", des "Monsieur l'Abbé", des postures et des plateaux de télé. Il nous faut retrouver la place de l'humble serviteur, comme le Christ né pauvre dans une étable. Imiter le Seigneur qui est "venu pour servir et non pour être servi" (Mt 20, 28) », déclarait l'archevêque de Paris en mars 2019. je rêve que, tous, nous ayons le même titre de « frère » ou de « sœur » frère cardinal, frère évêque, frère curé, frère prêtre...

Mais, alors, comment ne pas être dans la confusion ?

Comment indiquer à l'Église son architecture ? Sa colonne vertébrale est le Christ, c'est lui qui nous tient ensemble et lui seul : « Hors de lui, nous ne pouvons rien faire. » Le ministère sacerdotal concentre tout, il faut le dégager de ce carcan. Pourquoi faut-il que le prêtre ou le diacre soit institué obligatoirement lecteur ou acolyte avant l'ordination au presbytéral ? Faut-il qu'il soit tout ? Pourquoi des femmes ne prêcheraient-elles pas si elles en ont le don et les connaissances acquises pour cette charge ? Pourquoi seuls les hommes auraient-ils la capacité de servir l'unité et la communion dans la vie des communautés ? Ce n'est pas en ordonnant des femmes prêtres que l'on changera le modèle, c'est en repensant la diversité des ministères que nous trouverons de nouveaux chemins. La finalité de cette réflexion est que l'Église soit davantage équipée pour servir la mission. La primitive Église était plus inventive : « Or, vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps. Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l'Église, il y a premièrement des Apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement ceux qui ont charge d'enseigner... Recherchez donc avec ardeur les dons les plus grands » (1 Co 12, 27-31). A. aucun moment, dans ce passage, il n'y a de distinction de sexe ou de provenance, mais seulement la recherche des dons.

Et le pasteur dans tout ça ?

Reste dans cette symphonie des ministères à situer avec plus de clarté celui qui signifie la paternité de Dieu révélée par le Christ. S'il y a des frères et des sœurs, c'est qu'il y a une source commune, « un Dieu père aux entrailles de mère » (Is 49, 9-24). Le Christ n'est jamais seul: sa première tâche au début de sa vie publique a été d'en appeler douze « pour être avec lui ». Jésus, le Bon Pasteur, s'adjoint des Apôtres pour faire signe, par le don total de soi, de l'amour inconditionnel du Père. Le pasteur prend soin, nourrit et guide le troupeau. Le chapitre 10 de l'évangile de Jean en souligne les principales qualités : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger qui donne sa vie pour ses brebis... Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père; et je donne ma vie pour mes brebis » (10, 11-15). Le texte évangélique souligne essentiellement la qualité de relations avec les membres du troupeau. Présider est donc tout un art dans lequel s'exprime le rassemblement fraternel par le soin apporté les uns aux autres, par l'attention à la place de chacun, par la qualité des prises de parole, par l'humilité du serviteur qui nourrit le peuple de frères et de sœurs de la Parole et du Pain. Pasteur ? Oui, selon le cœur du Christ qui est doux et humble. Telle est la vocation du frère prêtre dans le corps d'une Église tout entière sacerdotale. Il est un sacrement en sa personne même, dans l'Église sacrement. Il est ordonné à signifier le Christ, le Fils unique et « le premier d'une multitude de frères ».

Une fraternité pour tous

Tout au long de l'histoire de l'Église, des chrétiens ont eu des actions décisives pour faire avancer les œuvres éducatives, de santé, d'entraide, d'accueil des orphelins et des veuves. Ils se sont montrés fraternels, très concrètement et de manière inventive. L'humanité blessée, la nôtre et celle de nos frères et sœurs, doit être au cœur de nos vies communautaires pour que tous se sentent à égalité de traitement. Les équipe; fraternelles qui se développent, si elles ne deviennent pas une solution à tous nos remèdes ou des serres chaudes, sont une belle piste d'avenir pour créer des communautés fraternelles.

Chacun devrait pouvoir s'interroger: avec qui j'ouvre les évangiles, avec qui je prie de manière proche, avec qui je sers ? Les nouvelles paroisses pourraient avoir cette finalité première avant d'être des lieux d'administration des sacrements : une fraternité au service de tous.

En faisant de la fraternité un ciment de nos communautés ecclésiales, mettons en place un antidote au cléricalisme comme abus de domination de celles et ceux qui détiennent la moindre responsabilité dont ils font un pouvoir.

La fraternité n'est pas une facilité, mais un défi quotidien. Les hommes et les femmes qui vivent en communauté et nos propres familles le savent bien. Il y faut des règles, de la patience. L'ascèse y trouve un lieu d'exercice particulièrement favorable.

2.2 La pauvreté comme moyen

Jésus en rêve dans les Béatitudes. Sa vie en chemin est dans l'inconfort, il sait que c'est la condition pour que le Royaume nous appartienne : « Il n'a pas où reposer sa tête » (Mt 8, 20). Au long des siècles, des richesses ont afflué, les Églises se sont enrichies et des responsables sont devenus des princes avec tout leur attirail. Dieu merci, les révoltes, les guerres nous ont régulièrement déplumés. En France tout particulièrement, depuis 1905, l'Église a beaucoup perdu. La crise que nous traversons risque d'avoir des répercussions sur nos finances. Déjà, la baisse du denier de l'Église affecte de manière drastique certains diocèses et les mois qui viennent vont accentuer les problèmes.

La pauvreté de moyens, c'est aussi le petit nombre de personnes au service de cette institution. Le nombre de prêtres diocésains en France est en chute libre : l'Église en comptait 16 075 en France en 2005, elle devrait avoir moins de 4 300 prêtres diocésains actifs en 2024. Une telle hémorragie chez les cadres de n'importe quelle entreprise produirait un cataclysme. La vieille maison est toujours debout mais bien des questions se posent pour répondre aux besoins de la mission.

Des communautés récentes sont nées, nombreuses et attrayantes, mais les difficultés liées à certains de leurs fondateurs et le climat général produisent une stagnation. Ce qui nous menace, ce n'est pas le petit nombre : le danger le plus grand qui nous guette est l'insignifiance !

Faut-il désespérer devant ces chiffres et cette évolution rapide chez nous ? L'Esprit travaille le cœur des croyants et les 4251 adultes baptisés à Pâques 2019 en sont un des signes majeurs. L'Église ne cesse d'enfanter des fils et des filles de Dieu.

Une conversion colossale nous attend! Elle doit toucher nos cœurs car c'est à la pauvreté de cœur que nous sommes appelés. Madeleine Delbrêl écrit dans un texte publié dans La joie de croire : « Bienheureux les pauvres en esprit... parce que le royaume des Cieux est à eux. Être pauvre, ce n'est pas intéressant : tous les pauvres sont bien de cet avis. Ce qui est intéressant, c'est de posséder le royaume des Cieux, mais seuls les pauvres le possèdent... »

Ce n'est pas seulement de spiritualité dont nous avons besoin, mais de pratique. Nous voici donc au temps de la « bidouille » ! Le dictionnaire de l'Intern@ute la définit : « Bricoler, transformer ou fabriquer quelque chose avec des moyens simples, de façon artisanale et rapide. Effectuer des petits travaux, de petites besognes. » Il y faudra beaucoup de temps mais l'essentiel est de commencer.

2.3 Le dialogue comme pratique

Le pape Paul VI a cette belle expression, dans l'encyclique Ecclesiam suam, en 1964 « L'Église se fait conversation ! [...] L'Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L'Église se fait parole, l'Église se fait message, l'Église se fait conversation » (nos 67 et 80-82). C'est d'abord un acte de foi en la Sainte Trinité. Le Père engendre le Verbe au souffle de l'Esprit.

 

 

La prière personnelle

Elle est cette entrée dans le dialogue qui est au cœur de Dieu. La communication, qui se noue dans cette rencontre tout à fait particulière, s'établit à un niveau où je ne peux « saisir » ce qui se passe, dans le sens où je ne peux le « prendre » ou lui « mettre la main dessus », sauf à détruire du même coup la relation. C'est le cœur à cœur de Dieu et de l'homme qui met en situation fondamentale de pauvreté. Avoir le désir de l'autre, c'est comme avoir soif ; et la prière est faite pour ceux qui ont soif; Dieu lui-même s'y présente ainsi : « Voici que je me liens à la porte et que je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui et je prendrai mon repas avec lui et lui avec moi » (Ap 3,20).

Cette conversation est la rencontre de deux libertés : je me livre à Dieu avec ce que je suis pour être envahi par Lui se donne à moi, s'adapte à moi d'un amour particulier, il me fait exister en étant quelqu'un pour lui. La prière nécessite la patience des amoureux, parce qu'en amour, on est toujours en route, en chemin vers l'autre. Croire qu'on est arrivé, c'est commencer à ne plus aimer. La prière des chrétiens est, selon Jésus, une prière au pluriel: « Notre Père... » C'est un ensemble qui prie, c'est une unité en formation qui s'exprime, c'est une communauté qui chante à plusieurs voix.

La prière des heures, que bien des chrétiens se sont appropriée, est, avec l'eucharistie, une grande école de prière, de conversation, de dialogue entre Dieu et l'humanité.

Le débat

Grand ou petit, synodal ou paroissial, il devrait davantage nous contaminer. Il s'agit de marcher avec les autres frères et sœurs, de cheminer, de se parler. Le contraire de la conservation est la conversation, c'est-à-dire une ouverture à d'autres points de vue, à d'autres approches de Dieu et de la réalité tout entière. Pour se faire comprendre, il faut bien parler la langue de ses vis-à-vis. C'est en parlant la langue de ses contemporains que jésus (le Nazareth peut attirer, choquer, séduire, interroger... et c'est le seul moyen qu'il a pris.

La formation

De tous les membres du peuple de Dieu : c’est une urgence pour rendre compte de l'espérance que nous donne la foi. En ce domaine, les questions et réponses ne suffisent pas : il y faut de l'intelligence et du discernement. On ne forme pas les chrétiens comme des perroquets ou des « Répète Jacquot ». Le « par cœur » ne peut se traduire que « par le cœur ».

« Dialoguer ne signifie pas renoncer à sa propre identité quand on va à la rencontre de l'autre, ni céder à des compromis sur la foi et sur la morale chrétienne... En tant que disciples de Jésus, nous devons nous efforcer de vaincre la peur, toujours prêts à faire le premier pas, sans nous laisser décourager face aux difficultés et aux incompréhensions », déclarait le pape François aux participants de l'assemblée plénière du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le 28 novembre 2013. Il résume les enjeux des échanges entre religions, sans peur et sans compromissions.

 

3    L'Espérance, en guise de conclusion provisoire

« L'Espérance est une petite fille de rien du tout mais c'est elle qui traversera les mondes révolus », selon Charles Péguy. Ombres et lumières s'enchevêtrent au cours de l'histoire des hommes et des Églises, des religions et des États. Mais la lumière repousse toujours l'ombre, elle la fait disparaître peu à peu, car la petite fille Espérance connaît déjà la plénitude vers laquelle elle oriente. Elle dévoile notre horizon de prière, d'action et d'invention. Elle voit l'invisible, ce doigt de Dieu qui, partout, en tout lieu, soulève la pâte humaine et la fait monter vers l'entrée dans son Royaume. Parce que nous sommes le peuple de l'Espérance, que notre charité se fasse inventive !

 

 

[1]Lettre au peuple de Dieu, 20 août 2018