USA - Si la voie de la synodalité est possible pour le catholicisme elle peut être une réponse à la crise de la démocratie - LCI 12 nov. 2019

 

Massimo Faggioli, États-Unis

12 novembre 2019

 

La crise de la démocratie est un défi supplémentaire pour une Église en lutte pour la justice sociale. Le Père Arturo Sosa, supérieur général jésuite, a fait cette observation lors du récent Congrès mondial de la Compagnie de Jésus pour l'apostolat social.

La crise que traversent de nombreuses institutions sociales, politiques, économiques et culturelles à travers le monde est une opportunité et un appel pour l'Église catholique. L'Église doit jouer un rôle dans la guérison des maux causés par la mondialisation, même si cette dernière impacte ses structures.

La concomitance de la crise de la mondialisation et de la crise catholique est beaucoup plus qu'une coïncidence : c'est un parallèle. C'est pourquoi, pour comprendre la crise actuelle de la démocratie, il est essentiel de comprendre la quête de l'Église pour un nouveau modèle de gouvernance : la synodalité.

Ce n'est pas seulement la tentative de tenir la promesse du Concile Vatican II de former une Église plus évangélique, libérée du modèle politico-institutionnel de l'ère chrétienne. C'est aussi l'effort de répondre prophétiquement, ici et maintenant, à la crise de gouvernance et de représentation que nous vivons.

 

Sept facteurs liés à la crise de la démocratie

Dans une conférence très éclairante donnée il y a quelques semaines lors d'une conférence organisée par le magazine catholique italien Il Regno, Sabino Cassese a expliqué la crise de la démocratie en la reliant à sept facteurs :

1) Diminution de la participation à la vie politique

2) Incapacité des partis politiques à encourager la participation et à définir une éthique de la citoyenneté

3) Croissance de canaux parallèles dans la formation de l'opinion publique

4) Erosion de l'importance du débat dans la prise de décision

5) Empoisonnement du système démocratique (par exemple les ingérences étrangères dans le processus électoral et les fausses nouvelles)

6) Opposition entre les institutions représentatives et le peuple

7) Développement des nouvelles technologies de l'information et des communications

Cette liste pourrait tout aussi bien s'appliquer à la crise du système ecclésial (et pas seulement ecclésiastique) de l'Église catholique.

 

La crise de l'Église est parallèle à la crise de la démocratie

1) Il y a une crise de participation dans l'Église. Ce n'est pas seulement dû à la sécularisation. Il s'agit aussi du sentiment croissant, parmi de nombreux catholiques, qu’il est vain d'essayer d'apporter une contribution à la vie de l'Église.

2) L'Église catholique s'appuie aujourd'hui sur des structures ecclésiales et ecclésiastiques fortement affaiblies.

Cela est dû à l'effondrement de l'autorité et de la crédibilité dont le Vatican, les évêques et le clergé jouissaient autrefois auprès des catholiques et des non-catholiques.

Elle est également affectée par le rôle devenu marginal des ordres religieux, ainsi que par la fragmentation des associations laïques catholiques et des mouvements politiques.

3) Ces structures institutionnelles affaiblies sont remises en question par de puissantes forces anti-institutionnelles.

Cela a créé les conditions idéales pour les ingérences extérieures, soit de la part de catholiques qui n'ont de comptes à rendre à personne dans l'Église, soit de non-catholiques qui se sentent concernés par le message social et politique de l'Église.

C'est dans ce contexte que se développent des canaux parallèles d'information sur le catholicisme indépendants de la hiérarchie ecclésiale. Il en va ainsi de l'émergence d'acteurs catholiques non institutionnels puissants et subversifs, disposant d’importants moyens financiers pas toujours  transparents et qui échappent au contrôle de l'institution.

4) Il y a une crise de confiance dans les institutions de l'Église, de la paroisse au Vatican, lieux où les décisions devraient être prises dans le respect de la dignité baptismale de tous les fidèles. (Pour y répondre le Pape François a lancé le processus de la synodalité).

5) La gouvernance de l'Église est attaquée : depuis les insinuations selon lesquelles le conclave de 2013 serait illégitime aux accusations ouvertes contre François truquant les assemblées du Synode des évêques.

6) Des catholiques fidèles à la tradition de l'Église pensent que ce pontificat peut créer le chaos.

7) Les nouveaux développements dans les technologies de l'information et de la communication sont nécessaires à une Église qui doit faire face à une situation de transition brutale vers sa mondialisation. Il s'agit notamment de la transition générationnelle (la crise de la transmission de la foi aux jeunes générations), de la fin de l’Église patriarcale, du glissement géopolitique vers le Sud et l'Asie, de la transition théologique et culturelle (la place des institutions culturelles, de l'enseignement supérieur et des élites intellectuelles) et de la transition technologique (environnement, médias sociaux).

Tout cela se passe dans le contexte d'une "déconfessionnalisation" du christianisme, c'est-à-dire d'une situation où les frontières entre catholiques et non-catholiques sont beaucoup moins visibles et pertinentes quand il s’agit de mesurer les apports du christianisme à la vie quotidienne.

 

La synodalité : une réponse catholique

Le parallèle entre la crise des systèmes politiques démocratiques et la crise de l'Église institutionnelle se tient dans les questions de participation (à la vie publique), d'opinion (sa construction), de représentation, de système de prise de décision et de manipulation de la communication.

La voie catholique pour aborder la crise actuelle est la synodalité.

La réforme synodale cherche à développer un système de gouvernance qui reste sur la voie tracée par Vatican II, comme l'a clairement expliqué François dans un discours d'octobre 2015 qui peut être considéré comme sa charte de la synodalité.

La voie synodale est une réponse hautement politique à la crise actuelle et à la paralysie de notre débat politique dans le sens où il s'agit de créer de la citoyenneté et non de la rivalité.

La théologie catholique ne débat plus du droit divin des monarques face à la démocratie, comme elle l'a fait jusqu'au XIXe siècle. Elle défend la démocratie contre les menaces et surtout contre le danger que tout se réduise à une sorte de jeu où les institutions qui nous ont permis de vivre ensemble seraient désormais remplacées par un théâtre de personnages, de morale et de communication issus du show-business.

Il ne s'agit pas seulement du problème de nos systèmes politiques : dans l'Église parler de réforme est souvent devenu affaire de communication.

La réponse de l'Église est la synodalité. Le processus synodal doit être l'alternative au jeu des rivalités qui se disputent l'attention des médias et des donateurs idéologiques.

Le processus synodal se déroule dans une communauté ecclésiale vécue et non dans une fiction ecclésiale. Il s'agit de pastorale plutôt que de sarcasmes et d'intrigues véhiculées par les réseaux sociaux. Il met au centre l'assemblée des fidèles qui participent à la vie de l'Église et non au cirque médiatique.

 

Des efforts mondiaux et nationaux pour introduire la synodalité

La synodalité commence à prendre racine dans l'Église catholique.

Elle a ses limites, mais elle s’impose doucement, en particulier au Vatican dans les différentes assemblées du Synode des Évêques que le Pape François a convoqué. Elle le fait aussi dans les églises locales, l'exemple le plus notable étant la préparation du Conseil plénier pour l'Australie en 2020-2021.  D'autres pays devraient suivre

La semaine dernière, Mgr Robert McElroy, évêque de San Diego (Californie), a lancé la proposition d’un synode national aux Etats-Unis. Dans une conférence à l'Université Saint Mary's au Texas, il a rappelé aux catholiques américains que le synode n'est pas un rêve impossible.

"La voie synodale n'est pas interdite à l'Église des États-Unis et n'est pas au-delà de nos capacités ", a dit l'évêque, qui a tenu un synode dans son propre diocèse en 2016.

R. Mc Elroy a mis en garde contre le danger de la paralysie et de l’enfermement dans la crise de la culture politique étatsunienne.

"Le grand danger est que notre vie ecclésiale devienne comme notre vie politique : polarisée, déformée et tribale. C'est pourquoi un vaste et profond processus de dialogue synodal au sein de la communauté catholique aux États-Unis pourrait ouvrir une voie alternative", a affirmé l'évêque.

Un processus synodal pour l'Église catholique aux États-Unis est possible. Une nouvelle voie synodale pour le catholicisme mondial est certainement réalisable.

Sinon le risque est de devenir une Église paralysée par la peur.

 

 

Catholic synodality as a response to the crisis of democracy

Massimo Faggioli argues how a new synodal way for global Catholicism is certainly attainable

Massimo Faggioli
United States

November 12, 2019

The crisis of democracy is yet one more challenge for a Church fighting for social justice.

Father Arturo Sosa, the Jesuit superior general, made that observation at the recent World Congress of the Social Apostolate of the Society of Jesus.

But the global crisis that many of the world's social, political, economic and cultural institutions are going through is also an opportunity and a summons for the Catholic Church.

The Church must play a role in healing the ills caused by globalization, even as its structures are being changed by globalization.

The concurrence of the globalization crisis and the Catholic crisis is much more than a coincidence: it is a parallel. This is why, in order to understand the current crisis of democracy, it is essential to understand the Church's struggle for a new model of governance – a synodal Church.

It's not just the attempt to fulfill the Second Vatican Council's promise to shape a more Gospel-like Church, liberated from the institutional-political model of the Christendom era. It is also the endeavor to respond prophetically, here and now, to the crisis of governance and representation in our age.

Seven factors linked to the crisis of democracy

In a very enlightening lecture delivered a few weeks ago at a conference organized by the Italian Catholic magazine Il Regno, Sabino Cassese explained the crisis of democracy by linking it to the following seven factors:

1) Decreasing political participation

2) Failure of political parties to foster participation and form an ethos of citizenship

3) Growth of parallel channels for the formation of public opinion

4) Erosion of the importance of debate for decision-making

5) Poisoning the wells of the democratic system (e.g. foreign interference in the electoral process and fake news)

6) Contradistinction between representative institutions and the people

7) Development of new information and communications technology

This list could just as easily be applied to the crisis of the Catholic Church's ecclesial (and not just ecclesiastical) ecosystem.

The Church's crisis parallels the crisis of democracy

1) There is a crisis of participation in the Church. This is not simply due to secularization. It also has to do with a growing sense, among many Catholics, that it is not even worth trying to make a contribution to the life of the Church.

2) The Catholic Church today relies on ecclesial and ecclesiastical structures that have been greatly weakened.

This is due to the collapse of public authority and credibility that the Vatican, the bishops and the clergy once enjoyed among both Catholics and non-Catholics.

It is also being affected by the marginal role of religious orders, as well as the fragmentation of lay Catholic associations and political movements.

3) These weakened institutional structures are being challenged by powerful non-institutional and anti-institutional forces.

This has created the ideal conditions for external interference – from Catholics who are not accountable to anyone in the Church, and even from non-Catholics who are concerned with the social and political message of the Church.

This is the context for the rise of parallel channels of information concerning Catholicism, which are independent from the hierarchy and accountable to nobody.

This includes the emergence of powerful non-institutional Catholic actors with subversive agendas, dependent on big money – money that is not transparent and not channeled by the institution. This is different from the sacrosanct existence and use of discretionary funds by those in position of legitimate power.

4) There is a crisis of trust in the Church's institutions – from the local parish all the way up to the Vatican – as places were decisions are made in a way that is respectful of the baptismal dignity of all the faithful. (Pope Francis has already begun to change this through the process of synodality).

5) The wells of Church governance have also been poisoned: from the insinuations that the conclave of 2013 was illegitimate to the open accusations that Francis is rigging the assemblies of the Synod of Bishops.

6) There is also the narrative concerning the contradistinction between the good Catholic people who are faithful to the tradition of the Church and the chaos that is allegedly being created by this pontificate.

7) And there are new developments in information and communications technology, which are necessary for a Church dealing with multiple levels of transition in this moment of its globalization.

These include generational transition (the crisis in the transmission of the faith to younger generations), the end of a male-dominated Church, a geopolitical shift towards the Global South and Asia, a theological and cultural transition (collapse of cultural institutions, of higher education and intellectual elites) and a technological transition (environment, social media).

This is all happening in the context of a "de-confessionalization" of Christianity; that is, a Catholic Church where the boundaries between Catholics and non-Catholics are much less visible and relevant for the lived experience of Christianity.

Synodality as the Catholic response

The parallels between crisis of our political democratic systems and the crisis of the institutional Church can be boiled down to participation, public opinion, representation, system of decision-making and bypassing communicative distortion.

The Catholic way to address the present crisis is synodality.

Synodal reform seeks to develop a governance system that continues along the path marked out by Vatican II, as Francis clearly explained in an October 2015 speech that can be considered his magna carta of synodality.

The synodal way is also a highly "political" response to the crisis of our time and the paralysis of our political debate. That's political in the sense of creating citizenship, not partisanship.

Catholic theology is no longer debating the divine right of monarchs versus democracy, as it did until the 19th century.

Instead, it is defending democracy from threats, most of all from the danger that everything is reduced to a sort of theater where the institutions that have kept us together are now substituted by the theater of the show business-like characters, moral norms and modes of communication.

This is not just a problem of our secular political systems. In the Church, as well, talk about reform often has become a theater or a format.

But the Church's answer to this is synodality. The synodal process must be the alternative to the lecture circuit where competing agendas vie for media attention and ideology-driven donors.

The synodal process takes place in a real, lived ecclesial community and not in the realm of Church fiction or virtual religion. It is about being pastoral rather than trading in sarcasm and sound bites especially through social media.

The synodal process puts the assembly of real people who participate in and represent the Church at the center, and not a media audience whose market value is in its divisiveness.

Global and national efforts to inculcate synodality

Synodality is beginning to take root in the Catholic Church.

It has visible limits, but is also becoming more frequent and is developing its way of working, especially at the Vatican with the various assemblies of the Synod of Bishops that Pope Francis has convened.

It is also happening in the local churches, the most notable example being the preparation for the Plenary Council for Australia in 2020-2021.

It should happen also in other countries.

Last week Bishop Robert McElroy of San Diego (California) launched the proposal for a national synod in the United States. In a lecture at Saint Mary's University in Texas, he reminded American Catholics that the synod is not just an impossible dream.

"Such a synodal pathway is not foreign to the Church in the United States, nor is it beyond our capacities," said the bishop, who held a synod in his own diocese in 2016.

McElroy also warned against the dangers of becoming paralyzed and therefore captive to the crisis of our political culture.

"The great danger is that our ecclesial life is becoming like our political life – polarized, distorted and tribal. That is why a deep and broad process of synodal dialogue within the Catholic community in the United States could empower an alternative pathway forward," the bishop argued.

A synodal process for the Catholic Church in the United States is possible. And a new synodal way for global Catholicism is certainly attainable.

The alternative is to become a Church paralyzed by fear.

 

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Date de dernière mise à jour : 18/11/2019