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Plus de vertus synodales

Plus de vertus synodales : regarder vers l'avenir dans la perspective de Vatican II

Le pape François fait le pari que la synodalité peut aider les catholiques à surmonter la tentation de se languir d'un passé glorieux et fictif

Thomas O'Loughlin

Royaume-Uni

27 octobre 2022

L'image du "peuple de Dieu en pèlerinage" utilisée lors du Concile Vatican II (1962-65) se voulait une riche perspective biblique pour remplacer la vision d’une Église "société hiérarchique inégale" (societas inaequalis hierarchica).

Peu d'organisations ont des niveaux hiérarchiques aussi clairs. Le mot le dit doublement : l'Église prétend être hiérarchique dans le sens originel d'un gouvernement nommé par Dieu et dans le sens commun d’une pyramide de pouvoir.

Vatican II a utilisé l'image de l'Église peuple de Dieu pour souligner que ce sont tous les baptisés en tant que communauté unique, qui témoignent, prêchent, travaillent, souffrent et prient. En d'autres termes, le fondement de l'Église est centré sur le baptême et non sur l'ordination.

Une Église pèlerine

C’est aussi une Église pèlerine. Elle n'a pas encore atteint son but, elle ne peut donc pas se considérer comme une societas perfecta. Dans l'ancienne ecclésiologie, l'Église était le phare parfait que non seulement les autres organisations religieuses mais aussi toutes les sociétés, devaient imiter.

Vatican II voyait la communauté des baptisés au service de la grande famille humaine, grandissant, apprenant, humblement consciente de son incomplétude. Mais après plusieurs siècles de triomphalisme, l'image du pèlerin a été trop forte pour beaucoup. De nombreuses divisions au sein du catholicisme contemporain peuvent être perçues en termes d’absence de volonté, d'une part, et de réticence, d'autre part, à prendre à cœur cette image de l'Église "peuple pèlerin".

C'est dans ce contexte que s'inscrivent les appels répétés du pape François en faveur d'une Église synodale. Il espère que la synodalité donnera chair à la vision de Vatican II.

Confrontés à de nouvelles images de l'Église, nous pouvons regarder en arrière, vers l'Église primitive, pour voir si nous pouvons en tirer leçons ou inspirations. Ce désir de retrouver l'âge d'or des premiers chrétiens n'est pas nouveau. En écrivant les Actes des Apôtres, Luc nous présente cette vision d'unité, d'harmonie et de dévouement :

« Tous ceux qui croyaient vivaient ensemble et mettaient tout en commun ; ils vendaient leurs possessions et leurs biens et en distribuaient le produit à tous, selon les besoins de chacun. Jour après jour, alors qu'ils passaient beaucoup de temps ensemble dans le temple, ils rompaient le pain à la maison et mangeaient leur nourriture avec un cœur joyeux et généreux, louant Dieu et ayant la bienveillance de tout le peuple. Et de jour en jour, le Seigneur ajoutait à leur nombre ceux qui étaient sauvés » (Actes 2, 42-7).

Luc soulève des questions importantes. Dans quelle mesure son image des premières communautés chrétiennes est-elle exacte ? Regarder en arrière reflète-t-il une vision chrétienne ? Bien que puissante sur le plan rhétorique, est-ce efficace sur le plan pastoral ?

Cependant, si ce n'était les conflits dans les Églises égéennes, au moins une génération avant Luc, nous n'aurions peut-être jamais eu les lettres de Paul. Il y avait des conflits sur les pratiques religieuses et un manque de volonté de s'accueillir les uns les autres sur un pied d'égalité (1 Corinthiens) et sur ce qu'il fallait croire et attendre (1 Thessaloniciens). Nous connaissons des disputes entre les disciples de Jésus qui étaient juifs et ceux qui étaient païens, au sujet de la circoncision et du partage des ressources.

Les abus concernant l'hospitalité et le soutien aux apôtres et prophètes ont donné lieu aux premiers règlements internes de l'Église, et il n'a pas fallu longtemps pour que le terme "marchand de Christ" soit inventé pour désigner les ministres avides d'argent. Il y a eu des cléricaux quelques décennies après la crucifixion et plusieurs siècles avant que le clergé n'apparaisse officiellement.

Loin de tout mettre en commun, les riches gardaient leurs esclaves. La plupart n'aimaient pas les pratiques qui remettaient en cause le statu quo social, comme le partage à la table eucharistique.

Tout n'était pas que douceur et lumière dans les premières Églises

En d'autres termes, les premiers chrétiens étaient tout autant interpellés par la Parole que nous le sommes aujourd'hui. Loin d'être des saints coulés dans le bronze, c'est leur volonté de continuer à essayer de vivre l'Évangile dans une culture qui les considérait comme des fous et des excentriques qui leur a permis de prétendre être "parmi les saints" (Ep 5, 3).

La civilisation gréco-romaine se souvenait d'un âge d'or depuis lequel les choses allaient de mal en pis. Les chrétiens étaient différents. Ils regardaient vers l'avenir : vers la venue du Fils de l'homme. Au banquet céleste - qu'ils attendaient avec impatience - les Hommes seraient rassemblés du nord, du sud, de l'est et de l'ouest (Lc 13, 29). Ils étaient en voyage.

Cela enrichit notre réflexion sur l'Église et sur la synodalité. Nous n'imaginons pas qu'il y ait eu un temps parfait que nous cherchons à recréer, mais, confiants dans l'aide de Dieu, nous nous demandons ce que nous devons devenir. L'Évangile de Matthieu le dit ainsi :

« Venez, vous qui êtes bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde ; car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, j'étais nu et vous m'avez donné des vêtements, j'étais malade et vous m'avez soigné, j'étais en prison et vous m'avez visité » (Mt 25, 34-6).

Nous ne sommes pas engagés dans un projet de restauration.

La nostalgie n'est pas une vertu chrétienne

Le procédé de Luc consistant à imaginer un passé parfait - une technique qu'il a empruntée à l'écriture de l'histoire grecque - fait appel à la propension humaine à la nostalgie : "Nous ne reverrons plus jamais les temps anciens !".

Mais le sentiment que c'était plus facile pour les premiers chrétiens - qu'ils appartenaient à "l'âge des saints", au "printemps de l’Église" - nous déresponsabilise. Il en découle un manque de foi dans l’Amour du Créateur pour notre temps qui ne serait plus celui du témoignage comme aux débuts du christianisme. Les temps ont changé, mais l'appel à suivre et à témoigner - au milieu des difficultés particulières de notre époque - est toujours le même.

Les premières Églises égéennes et les Églises d'aujourd'hui ne font qu'une dans l'écoute : "Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui pourtant sont venus pour croire" (Jn 20, 29).

La nostalgie est, à bien des égards, l'antithèse du courage de la foi. C'est ce que le pape François a voulu faire comprendre en juin dernier lorsqu'il s'est moqué des séminaristes qui aiment porter de la dentelle. Le passé semble toujours être l’endroit sûr où l'on se réfugie, mais la foi exige que nous nous projetions dans l'avenir en faisant confiance à la grâce de Dieu qui nous accompagne. Nous sommes, comme nous prétendons le croire, plus précieux que beaucoup de moineaux ! (Lc 12, 7).

Diagnostiquer les problèmes profonds de l'Église catholique

Cela dit, nous ne devons pas nous contenter de critiquer les séminaristes qui veulent porter des surplis en dentelle et qui ont la nostalgie d'un passé imaginaire où ils auraient été bien considérés.

Nous devrions étudier en détail - travail de sociologue et de psychologue - ce qui rend le ministère presbytéral (tel qu'il est actuellement configuré) si attrayant pour ces jeunes hommes tant attachés au passé plutôt qu'au présent. Une telle étude pourrait révéler les graves maladies qui assaillent l'Église catholique aujourd'hui. Nous devons considérer cette nostalgie comme révélatrice des problèmes que le prochain synode doit aborder.

Si nous attirons des candidats inadaptés au ministère, peut-être le problème réside-t-il dans nos formes de ministère. Peut-être devons-nous en changer les structures ecclésiales.

La vie de disciple

Autre chose distingue le peuple pèlerin de la societas perfecta : la vie de disciple. Jusqu'aux années 1930, la plupart des Églises dominantes étaient unies dans leur conception identitaire autour de croyances spécifiques.

L'identification était perçue dans leur désir d'être légalement reconnues en donnant à leurs dirigeants un droit de regard sur l'éducation ou la politique sociale. L'appartenance individuelle se jouait dans l'assentiment aux règles. Les Églises avaient leurs vérités à accepter (les credenda). Il y avait une liste de cases à cocher pour en faire partie.

Des mouvements politiques tels que le fascisme, le nazisme et le communisme sont apparus. Sous leur pression l'identification et l'acceptation des règles ne suffisaient plus pour appartenir comme l'ont reconnu des théologiens comme Dietrich Bonhoeffer. Il fallait devenir un disciple.

Le disciple, qui est plus un apprenti qu'un étudiant, sait qu'il ne suffit pas de parler mais qu'il faut aussi marcher. C'est la marche du pèlerin. La vie de disciple coûte. Marc présente le désir des disciples regardant vers leur destination (10,38) :

" Vous ne savez pas ce que vous demandez. Êtes-vous capables de boire la coupe que je bois, ou d'être baptisés du baptême dont je suis baptisé ?"

 L'Église synodale n'est pas un exercice de nostalgie, une tentative de recréer une illusoire Église primitive sans désaccord ni dissension. Le rêve du pape François semble être que la synodalité concrétise la vision de Vatican II d'une Église pèlerine de disciples en voie de sainteté - non pas parce qu'ils sont parfaits, mais parce qu'ils sont d'humbles témoins de l'Évangile de la miséricorde.

Thomas O'Loughlin est prêtre du diocèse catholique d'Arundel et Brighton et professeur émérite de théologie historique à l'Université de Nottingham (Royaume-Uni).

Son dernier livre est Eating Together, Becoming One : Taking Up the Pope Francis's Call to Theologians (Manger ensemble : l’appel du pape François aux théologiens), Liturgical Press, 201).

Pour en savoir plus : https://international.la-croix.com/news/religion/more-synodal-virtues-looking-forward-with-a-vatican-ii-perspective/16804

 

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Date de dernière mise à jour : 28/11/2022