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« Au nom de l'Église » mais hors hiérarchie, des laïcs prennent la parole - La Croix 12/4/2010

Les différents « appels » lancé par des catholiques face aux affaires de pédophilie dans l'Église manifestent la volonté des laïcs de prendre la parole en dehors des circuits ecclésiaux traditionnels

 

 

La Croix,  le 12/04/2010

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Les différents « appels » lancé par des catholiques face à la crise de la gestion des affaires de pédophilie dans l'Église manifestent la volonté des laïcs de prendre la parole au nom de l'Église, en dehors des circuits ecclésiaux traditionnels

Les différents « appels » lancé par des catholiques face à la crise de la gestion des affaires de pédophilie dans l'Église manifestent la volonté des laïcs de prendre la parole au nom de l'Église, en dehors des circuits ecclésiaux traditionnels

Pétitions et tribunes seraient-elles en passe de devenir le nouveau moyen de communication dans l'Église ? Premier parti, à la veille de Pâques, l'Appel à la vérité, lancé par un groupe de journalistes, écrivains, et blogueurs désireux de « voir traiter les douloureuses affaires de pédophilie qui touchent l'Église avec rigueur et équilibre », revendique déjà 27500 signatures. Parmi lesquelles celles de l'homme d'affaires Claude Bébéar, du président des Semaines sociales de France Jérôme Vignon, des philosophes Chantal Delsol, Jean-Luc Marion et Rémi Brague, mais aussi des députés Jean Dionis du Séjour et Etienne Pinte.

De leur côté, emmenées par l'éditeur Jean-François Bouthors, une vingtaine d'autres figures catholiques (l'historien Jean Delumeau, Guy Aurenche, le président du CCFD-Terre solidaire, les fondatrices de la Conférence des baptisé(e)s Anne Soupa et Christine Pedotti mais aussi le P. Henri Madelin) ont signé samedi 10 avril dans Le Monde une tribune conjointe dans laquelle elles demandent « pardon aux victimes » et interrogent les modes « d'exercice de l'autorité et de la responsabilité » dans l'Église.

 

 «Une opinion publique chrétienne qu'on n'entend pas souvent»

Ces textes font écho aux initiatives prises l'an dernier après la levée de l'excommunication des quatre évêques lefebvristes et l'excommunication de la mère d'une fillette qui avait avorté à la suite de viols à Recife, au Brésil : qu'il s'agisse des pétitions Benoît, j'ai confiance en toi, Soutien à Benoît XVI, ou de l'appel de l'hebdomadaire La Vie intitulé « Pas de négationnistes dans l'Église ».

Tous, bien sûr, diffèrent dans leur forme comme dans leur fond : certains cherchent à faire nombre et engrangent les signatures quand d'autres n'engagent que leurs auteurs. Beaucoup proclament leur soutien au pape ou à l'Église qu'ils estiment « attaqué(e)», alors que d'autres appellent à des réformes ou critiquent une orientation prise…

Tous ont toutefois un point commun : ils manifestent la volonté des laïcs de prendre la parole au nom de l'Église, quitte à le faire - pour plus d'efficacité ou de rapidité - en dehors des circuits ecclésiaux traditionnels (synode diocésain, mouvement ou service d'Église, etc.). La preuve, comme le note la journaliste Natalia Trouiller, l'une des initiatrices de « l'Appel à la vérité » qu'il existe « une opinion publique chrétienne qu'on n'entend pas souvent ».

Les laïcs s'approprient des systèmes de fonctionnement propres aux réseaux

« Ces interventions sont la conséquence de tout le travail de formation engagé dans l'Église : les chrétiens ont appris à réfléchir et veulent se situer en adultes dans les débats qui la concernent », note également l'écrivain Jean-François Bouthors.

D'autant que, deuxième argument, les « lacunes de la hiérarchie en matière de communication », selon la formule du blogueur Koz, sont dénoncées par ces mêmes militants. « Dans la mesure où les simples fidèles peuvent désormais s'organiser, grâce à Internet notamment, ils prennent eux-mêmes la défense de leur Église », fait-il valoir.

« Plus largement, on est en train de se découvrir comme minorité au sein d'une société sécularisée. Du coup, il y a des systèmes de fonctionnement propres aux réseaux que les laïcs catholiques sont en train de s'approprier », appuie Natalia Trouiller.

«Les laïcs n'attendent plus leur salut de leurs représentants»

Ce « mouvement pétitionnaire », qui a repris de la vigueur avec le débat sur la constitution européenne et les racines chrétiennes de l'Europe, le sociologue Philippe Portier en voit les prémices dès les années 1930 avec la contestation de certains aspects de la hiérarchie ecclésiale, et plus encore avec les grands débats de l'après-guerre (décolonisation, prêtres ouvriers, encyclique Humanae vitae…)

« Le problème est celui de l'opinion publique dans l'Église, résume-t-il. L'Église a l'habitude de se penser comme un corps, un troupeau conduit par ses clercs. Même Pie XII, qui y était favorable, l'analysait selon cette logique et souhaitait donc qu'elle obéisse au Magistère. Mais, comme tout corps social, l'Église est de plus en plus poreuse aux logiques de la démocratie, du monde moderne or celui-ci est organisé sur un mode pluraliste. »

De la même manière que la démocratie représentative est concurrencée par les revendications d'une démocratie participative, les médiations traditionnelles de l'Église catholique sont elles aussi bousculées. « Les laïcs n'attendent plus leur salut de leurs représentants mais souhaitent le prendre en main : ils n'hésitent plus à organiser des débats, souhaitent participer aux décisions », poursuit Philippe Portier.

«La blogosphère catholique est un miroir très déformant»

Pour certains, ces débats - parfois vifs - qui agitent l'Église sont donc signes de bonne santé. « On voit bien que le rapport à l'autorité change. Le débat d'opinion ne tombe pas d'en haut : c'est plutôt bon signe », se félicite ainsi Jean-François Bouthors.

« Certes, c'est un signe de vitalité que des gens se sentent concernés par les débats qui traversent l'Église », approuve Mgr Hyppolite Simon, vice-président de la Conférence des évêques de France. Mais pour l'archevêque de Clermont, une question fondamentale demeure : « Qui a la légitimité pour utiliser le sigle catholique, pour engager le corps ? Est-ce que n'importe quel militant de l'UMP ou du PS peut utiliser le sigle de son parti ? »

D'autant que, reconnaît le blogueur et ancien directeur de la communication du diocèse d'Orléans Marc Favreau, « la blogosphère catholique est un miroir très déformant : les blogueurs les plus actifs ne sont pas nécessairement représentatifs de l'ensemble du peuple de Dieu ».

Une certitude en tous les cas, pour l'éditeur Jean-François Bouthors : « Il y a un vrai besoin de dialogue et d'échange dans l'Église. Certes, comme au temps des premiers chrétiens, il y a toujours un débordement de l'Esprit. Mais dans cette ébullition, le tri va se faire : ne resteront que les initiatives qui veulent vraiment servir l'Église ».

 

Anne-Bénédicte HOFFNER, Céline HOYEAU et François-Xavier MAIGRE

 

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Date de dernière mise à jour : 23/12/2018