le danger des liturgies figées

Le pape François souligne le danger des liturgies figées qui "nient le Concile Vatican II"

Michael Sean Winters

National catholic Reporter

11 mai 2022

Connaissez-vous ce vieux dicton : "Pendant la semaine sainte, il n'y a rien de plus inutile qu'un jésuite". Les magnifiques célébrations de ce temps exigent un profond sens liturgique. Les membres de la Compagnie de Jésus n'ont jamais été connus pour leur flair liturgique et le pape François ne fait pas exception. Lorsqu'il préside, c'est d'une manière très simple et sans fioritures.

C’est pourquoi les propos qu'il a tenus[1] devant les membres de l'Institut pontifical de liturgie le week-end dernier (7 mai) ont quelque peu surpris. Personne ne devrait s'étonner qu'un homme d'une telle solidité spirituelle éprouve des sentiments profonds à l'égard de la liturgie, mais le voir les partager fut une occasion rare d’entendre un exemple de ce qui irrite le Saint-Père.

On retiendra ses remarques concernant le formalisme liturgique. "Je voudrais souligner le danger du formalisme liturgique qui se concentre sur la forme plutôt que le fond, comme nous le voyons aujourd'hui dans ces mouvements qui tentent de revenir en arrière et de nier le Concile Vatican II"… "La célébration devient une récitation sans vie, sans joie" a déclaré le pape (Cette dernière phrase est soulignée dans l'original.)

L'expression clé est "nier le Concile Vatican II". Nous avons tous assisté à des liturgies postconciliaires qui manquent d’entrain. Quand la liturgie devient une arme dans les guerres culturelles, lorsque des doutes sont émis sur Vatican II et sa légitimité, lorsque la liturgie devient une expression idéologique plutôt qu'ecclésiale, l'Esprit Saint est exclu et l'irruption du mystère divin est absente.

François n'a pas mâché ses mots : "Quand la liturgie devient une bannière de division l'odeur du diable, le trompeur, est là".

Ses commentaires sur les changements précédents, comme lorsque Pie XII a réintroduit la Veillée pascale, sont pertinents. Les opposants étaient contrariés par l'action de ce pape, mais la vérité est que la restauration de la grande veillée a contribué à inciter le Concile Vatican II à examiner le rôle des baptisés d’une manière nouvelle et importante. Lex orandi, lex credendi : la loi de la prière est la loi de la croyance.

Dans le même ordre d'idées, le pape a dit ceci à propos de l'unité ecclésiale :

« Votre dévouement à l'étude liturgique, tant de la part des professeurs que des étudiants, vous fait grandir dans la communion ecclésiale. En effet, la vie liturgique nous ouvre à l'autre, au plus proche et au plus lointain de l'Église, dans une commune appartenance au Christ. Rendre gloire à Dieu dans la liturgie trouve son pendant dans l'amour du prochain, dans l'engagement à vivre en frères et sœurs dans les situations quotidiennes, dans la communauté dans laquelle nous nous trouvons, avec ses mérites et ses limites. C'est le chemin de la vraie sanctification. La formation du Peuple de Dieu est donc une tâche fondamentale pour vivre une vie liturgique pleinement ecclésiale. »

Un pasteur sage et prédicateur de talent a dit un jour, du haut de la chaire de l'église que je fréquente:

" Si vous ne reconnaissez pas Jésus-Christ dans les pauvres, comment pouvez-vous le reconnaître dans l'Eucharistie ? Et si vous ne le reconnaissez pas dans l'Eucharistie, comment pouvez-vous le reconnaître dans les pauvres ?".

Il ne faut pas laisser le pape s'en tirer à bon compte. Dans son intervention à St. Anselme[2] il est passé de l'étude de la liturgie aux questions normatives sur la liturgie à l’attention de ceux d'entre nous qui n'étudient pas à l'institut liturgique. J'aurais aimé qu'il explique un peu plus en détail comment la liturgie "nous ouvre à l'autre" et qu'il esquisse comment le fait de rendre gloire peut conduire, en pratique, à l'amour du prochain. Comment établit-il ce lien ? François a dit, il n'a pas montré, et beaucoup d'entre nous qui suivent cette papauté avec beaucoup d'attention auraient préféré qu'il nous explique ce qu'il voulait dire, avec quelques anecdotes personnelles pour étoffer son propos.

François s'est ensuite concentré sur la relation entre la liturgie et la mission, notant que toute liturgie se termine par un envoi, la racine étymologique du mot "mission" :

"Ce que nous vivons et célébrons, nous conduit à aller vers les autres, à rencontrer le monde qui nous entoure, à rencontrer les joies et les besoins de beaucoup de gens qui vivent peut-être sans connaître le don de Dieu"… "La vie liturgique authentique, en particulier l'Eucharistie, nous pousse toujours à la charité, qui est avant tout ouverture et attention aux autres. Cette attitude commence et se fonde toujours dans la prière, surtout la prière liturgique. Cette dimension nous ouvre au dialogue, à la rencontre, à l'esprit œcuménique, à l'accueil."

Il y a là beaucoup de choses à décortiquer, mais l'expression "don de Dieu" saute aux yeux. À notre époque militante, nous avons tendance à nous concentrer sur les objectifs, et non sur les sources, de notre activité. La lutte pour la justice n'est plus considérée comme "constitutive" de la prédication de l'Évangile, mais comme exhaustive. Pourtant, le Compendium de la doctrine sociale de l'Église indique clairement que la grâce et le don sont la source de la solidarité chrétienne. Toute la grâce chrétienne découle, et découle de manière décisive, du mystère de la passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur que nous célébrons à chaque Eucharistie.

J'aurais aimé que le pape discute du rôle de l'esthétique dans la liturgie. Il est vrai que différents styles de liturgie plaisent à différentes personnes, mais il est également vrai que nous écoutons Mozart et avons oublié Salieri parce que l'un est meilleur que l'autre. J'aurais également souhaité que le pape fasse le lien entre la liturgie et la synodalité.

Alors que l'Église des États-Unis se prépare à un renouveau eucharistique, il est vital que nous nous souvenions, comme François le fait, que la messe n'est pas isolée, séparée du reste de notre foi. L'Eucharistie est un nom mais elle est d'abord un verbe.

La liturgie nous forme en tant qu'Église et nous éduque dans les voies de la grâce et du don, de la souffrance, de la prière et de l'obéissance, qui sont les forces les plus essentielles de l'Église. La liturgie nous unit au Christ et, de la même manière, les uns aux autres, en nous entraînant tous dans ce que signifie porter notre croix et espérer en la résurrection. La liturgie est l'air des poumons de l'Église. Le pape nous invite à réfléchir non seulement à la manière dont l'Église respire, mais aussi à ce que nous sommes et à ce que nous faisons lorsque nous prenons une profonde respiration liturgique.

Michael Sean Winters couvre le lien entre la religion et la politique pour NCR.

Audience avec les enseignants et les étudiants de l'Institut pontifical de liturgie

Aujourd'hui, au Palais Apostolique du Vatican, le Saint-Père François a reçu en audience les professeurs et les étudiants de l'Institut Pontifical Liturgique, à l'occasion du soixantième anniversaire de sa fondation

07.05.2022

Voici le discours du Saint-Père aux personnes présentes

Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenue

Merci, Père Abbé Primat, pour votre introduction. Votre italien s'est amélioré. Il est bon.

Je salue le Père Recteur, le Père Doyen, les professeurs, et vous tous, chers étudiants et anciens étudiants de l'Institut Pontifical Liturgique.

Je suis heureux de vous recevoir à l'occasion du soixantième anniversaire de sa fondation. Il est né en réponse au besoin croissant du Peuple de Dieu de vivre et de participer plus intensément à la vie liturgique de l'Église, besoin qui a trouvé une vérification éclairante au Concile Vatican II avec la Constitution Sacrosanctum Concilium. Le dévouement de votre institution à l'étude de la liturgie est maintenant bien reconnu. Les experts formés dans vos salles de cours promeuvent la vie liturgique de nombreux diocèses, dans des contextes culturels très différents.

Trois dimensions émergent clairement de l'esprit conciliaire de renouvellement de la vie liturgique.

La première est la participation active et fructueuse à la liturgie ; la deuxième est la communion ecclésiale inspirée par la célébration des eucharisties et des sacrements de l'Église et la troisième est l'élan donné à la mission évangélisatrice, à partir de la vie liturgique qui implique tous les baptisés. L'Institut Pontifical Liturgique est au service de cette triple exigence.

Tout d'abord, la formation pour vivre et promouvoir la participation active à la vie liturgique. L'étude approfondie de la liturgie doit vous inciter à favoriser, comme l'a souhaité le Concile, cette dimension fondamentale de la vie chrétienne. L'essentiel ici est d'éduquer les personnes à entrer dans l'esprit de la liturgie. Et pour savoir le faire, il faut être imprégné de cet esprit. À Saint Anselme[3], je dirais que c'est ce qui doit se passer : s'imprégner de l'esprit de la liturgie, en ressentir le mystère, avec un émerveillement toujours nouveau. La liturgie ne peut pas être possédée, non, ce n'est pas une profession : la liturgie s'apprend pour arriver à l’attitude de la célébrer. On ne participe activement que dans la mesure où l'on entre dans cet esprit de célébration. Il ne s'agit pas de rites, il s'agit du mystère du Christ, qui a révélé et accompli une fois pour toutes le sacrifice et le sacerdoce. Adorer en esprit et en vérité. Tout cela, dans votre Institut, doit être médité, assimilé, je dirais "respiré", à l'école des Écritures, des Pères, de la Tradition, des Saints. Ce n'est qu'ainsi que la participation peut se traduire par un plus grand sens de l'Église, qui nous fait vivre évangéliquement en tous temps et en toutes circonstances. Cette attitude de célébration souffre de tentations. Sur ce point, je voudrais souligner le danger, la tentation du formalisme liturgique : rechercher les formes, les formalités plutôt que la réalité, comme nous le voyons aujourd'hui dans ces mouvements qui tentent de revenir en arrière et de nier le Concile Vatican II lui-même. De cette façon, la célébration est une récitation, c'est quelque chose sans vie, sans joie.

Le dévouement à l'étude liturgique, tant de la part des professeurs que des étudiants, fait également grandir la communion ecclésiale. En effet, la vie liturgique nous ouvre à l'autre, au plus proche et au plus lointain de l'Église, dans une commune appartenance au Christ. Rendre gloire à Dieu dans la liturgie trouve son pendant dans l'amour du prochain, dans l'engagement à vivre en frères et sœurs dans les situations quotidiennes, dans la communauté dans laquelle nous nous trouvons, avec ses mérites et ses limites. C'est le chemin de la vraie sanctification. La formation du Peuple de Dieu est donc une tâche fondamentale pour vivre une vie liturgique pleinement ecclésiale.

Et le troisième aspect. Toute célébration liturgique se termine toujours par la mission. Ce que nous vivons et célébrons, nous conduit à aller vers les autres, à rencontrer le monde qui nous entoure, à rencontrer les joies et les besoins de beaucoup de personnes qui vivent peut-être sans connaître le don de Dieu. La vie liturgique authentique, en particulier l'Eucharistie, nous pousse toujours à la charité, qui est avant tout ouverture et attention aux autres. Cette attitude commence et se fonde toujours dans la prière, surtout la prière liturgique. Cette dimension nous ouvre aussi au dialogue, à la rencontre, à l'esprit œcuménique, à l'accueil.

Je me suis attardé brièvement sur ces trois aspects fondamentaux. Je souligne à nouveau que la vie liturgique et son étude doivent conduire à une plus grande unité ecclésiale, et non à la division. Lorsque la vie liturgique devient une sorte de bannière de division, il y a là l'odeur du diable, du trompeur. Il n'est pas possible d'adorer Dieu et en même temps de transformer la liturgie en un champ de bataille pour des questions qui ne sont pas essentielles, voire pour des questions dépassées, et de prendre parti, à partir de la liturgie, pour des idéologies qui divisent l'Église. L'Évangile et la Tradition de l'Église exigent que nous soyons fermement unis sur les questions essentielles, et que nous partagions les différences légitimes dans l'harmonie de l'Esprit. C'est pourquoi le Concile a voulu préparer abondamment la table de la Parole de Dieu et de l'Eucharistie, pour rendre possible la présence de Dieu au milieu de son Peuple. Ainsi, l'Église, par la prière liturgique, prolonge l'œuvre du Christ au milieu des hommes et des femmes de tous les temps, et aussi au milieu de la création, en dispensant la grâce de sa présence sacramentelle. La liturgie doit être étudiée en restant fidèle à ce mystère de l'Église.

Il est vrai que toute réforme crée des résistances. Je me souviens, j'étais petit, quand Pie XII a commencé avec la première réforme liturgique : on peut boire de l'eau avant la communion, en jeûnant pendant une heure... "Mais c'est contre la sainteté de l'Eucharistie !", les contre en déchiraient leurs vêtements de désespoir. Puis, la messe des vêpres : "Elle ne peut être le matin !". Puis, la réforme du Triduum pascal : « Mais comment est-ce possible que le Seigneur ressuscite le samedi », « Le dimanche ils ne sonnent pas les cloches », « Où sont passées les douze prophéties[4] ? ». Toutes ces choses scandalisaient les esprits fermés. Cela se produit aujourd'hui. En effet, les esprits fermés utilisent les questions liturgiques pour défendre leur point de vue. Utiliser la liturgie : c'est le drame que nous vivons dans des groupes ecclésiaux qui prennent leurs distances avec l'Église, remettent en cause le Concile, l'autorité des évêques... pour préserver la tradition. La liturgie est utilisée pour cela.

Les défis de notre monde et du moment présent sont très forts. L'Église aujourd'hui, comme toujours, a besoin de vivre la liturgie. Les Pères du Concile ont fait un grand travail pour que ce soit le cas. Nous devons poursuivre cette tâche d'être formés par la liturgie. La Vierge Marie, avec les Apôtres, a prié, rompu le pain et vécu la charité avec tous. Par leur intercession, que la liturgie de l'Église rende présent, aujourd'hui et toujours, ce modèle de vie chrétienne.

Je vous remercie pour le service que vous rendez à l'Église et je vous encourage à continuer dans la joie de l'Esprit. Je vous bénis de tout mon cœur.

Et je vous demande, s'il vous plaît, de prier pour moi.

Je vous remercie.

traduit par Jean-Paul 

 

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Date de dernière mise à jour : 23/06/2022