Pour une Église renouvelée, penser globalement, croire localement - Amaury Dewavrin 17/4/2019 La CRoix

 

La Croix - le 17/4/2019 à 11h49

Par Amaury Dewavrin, Vice-recteur de l’Université catholique de Lyon / UCLy

 

Ni le drame des victimes de Bernard Preynat ni la « victoire » de la Parole libérée ne doivent le cacher : il existe encore en France des situations cachées et inacceptables, des paroles à libérer. Soyons clairs : l’Église de France pourrait tomber encore plus bas sur ce drame de la pédocriminalité !

S’il est indispensable que la parole se libère encore, des dispositions vraiment globales doivent être prises par l’Église de France – c’est le souhait du pape que la subsidiarité s’exerce à ce niveau. La gouvernance actuelle, qui donne tout pouvoir à un évêque dans son diocèse, et aucun à la conférence des évêques de France, complique beaucoup ce processus…

L’Église a écouté des victimes : cela permet une meilleure compréhension de cette souffrance qui parfois ne s’éteint pas. Témoignage reçu dans la cellule d’écoute montée dans notre diocèse : « j’avais 16 ans, j’ai été violenté. Maintenant j’en ai 80, c’est la première fois depuis les faits que je peux en parler ».

L’Église ne peut se comporter comme une institution

Un premier choix re-fondateur : l’Église ne peut se situer que du côté des victimes, sinon elle contredit le message évangélique. Elle ne peut pas se comporter comme une institution, car elle n’en est pas une. Un des ratés majeurs de la communication de ces dernières années tient dans cette erreur. L’église n’a pas à défendre une légitimité, un pouvoir, une structure. Sa relation au pouvoir n’a pas été ajustée.

Pour les victimes, il faut condamner les faits (c’est le cas enfin !), mais aussi faire la vérité, tout entière, assurer la justice, prendre des mesures efficaces, engager sérieusement des mesures préventives, remettre en cause la gouvernance. Cela suppose des mesures bien concrètes, et dont la commission Sauvé pourra s’emparer ; mais peut-être faudra-t-il comme en Allemagne une conférence des laïcs de France ?

Vers une indemnisation des victimes

La justice « civile » doit se prononcer. Aujourd’hui sa lenteur dans l’affaire Preynat est une grande injustice ! Son rôle est majeur même s’il ne répare pas. Il apaise en nommant le délit, le crime.

La Justice passe aussi par une indemnisation des victimes. Même pour des faits prescrits civilement. Des évêques en ont peur. Ils bloquent l’avancée de cette question. C’est très injuste. Les psychologues le confirment, c’est une étape nécessaire ; même si la réparation n’est que partielle, insuffisante, trop tardive. Il faut que justice soit faite, même si c’est bien tard !

En Suisse, en Belgique, se sont mis en place des processus transparents, dont il est facile de s’inspirer. Un montant y a été défini, par « type » de violence. Une commission indépendante a tranché sur des bases claires. C’est facile à mettre en œuvre si on le décide, c’est-à-dire si la CEF s’y décide enfin. Ce dispositif devra être lisible, cohérent, et juste, c’est-à-dire administré par des tiers (commission de réparation, avec des experts indépendants), alimenté par des cotisations des diocèses, comparable aux indemnisations prononcées par la société civile (pédophilie familiale, scolaire), sans prescription, et complémentaire à des indemnités civiles éventuelles.

L’Église ne peut se dispenser de prendre des mesures claires

Des mots majeurs, prévention, sanctions, accompagnement, n’ont pas été pris complètement en compte : il faut passer de mesurettes locales à un ensemble de décisions nationales lisibles :

– Il n’y a pas de place dans l’Église pour un prêtre ou un laïc qui a abusé d’un mineur ou d’un jeune ; conséquence en termes de ressources humaines, un retrait temporaire en cas de soupçon, un retrait de tout ministère lorsque c’est avéré.

C’est à l’adulte, qui se trouve en responsabilité ou en situation d’autorité, d’établir la bonne distance et de faire respecter des règles de la vie collective, le respect, la pudeur et l’intimité des plus jeunes. ne jamais recevoir un enfant, ou un jeune seul ; c’est à l’adulte d’être au clair sur son équilibre personnel, affectif et humain, Cela suppose formation, évaluation, suivi.

– Le devoir d’informer les autorités judiciaires des faits d’agression sexuelle est maintenant établi. Tout doit être fait pour ne pas dissuader et même plus, encourager les victimes à réaliser ces démarches de justice. Sinon, les engager sans tarder.

– Des sessions de formation sur ces sujets doivent être proposées pour tous les agents pastoraux.

– Tout prêtre pourra demander un accompagnement psychologique s’il en ressent le besoin et ceci de manière anonyme.

– Une déposition et une enquête canoniques doivent devenir obligatoire dès la révélation de tels faits, et être communiquées à la justice. Un jugement canonique doit devenir systématique et sans prescription.

– A tout prêtre muté vers un autre diocèse ou une autre congrégation, même temporairement, il sera demandé une attestation certifiant que ce prêtre répond aux critères en matière de lutte contre les abus sexuels et qu’il n’a aucun antécédent en ce domaine. Les archives seront à jour.

– Pour les cas litigieux, un collège d’experts sera nommé et au vu du dossier, remettra un avis circonstancié à l’évêque et des recommandations sur la possibilité de poursuivre un ministère ou non.

Comment soigner la pédophilie ?

– Le soin des prêtres fautifs : suivi médical, accompagnement personnel, ou placement éventuel, doit être clarifié.

Pour une Église sûre demain, une gouvernance

La situation actuelle est incertaine, faute de pouvoir s’assurer que les dispositions retenues ne sont pas gentiment oubliées dans les diocèses. Une « commission de confiance » (un autre nom à trouver ?) avec un droit de regard sur l’action réelle menée contre ce fléau, est indispensable.

À cette commission seraient confiées les tâches suivantes : s’informer avec un droit d’enquête, sur tous les cas publics ou non, dans tous les diocèses, sur le respect général des procédures de sûreté ; vérifier les procédures de nomination, de contrôle lors des transferts ; évaluer les formations mises en place ; s’assurer que les procédures canoniques nécessaires sont engagées ;

L’Église paie des commissaires aux comptes pour ses finances, et s’exonérerait des moyens utiles sur ce plan-là ?

Cette commission (nationale ?) rendrait un rapport annuel sur le suivi des mesures pour une église sûre, qui serait rendu public.

Une Église missionnaire et renouvelée

Sur bien d’autres sujets l’Église doit se re-fonder pour être vivante plutôt que mourante, joyeuse plutôt que triste, ouverte plutôt que repliée, porteuse d’espérance et non de crainte. Elle faillirait à fuir cette re-fondation. Il faut partir de la force du message évangélique, à ajuster au monde d’aujourd’hui, si différent de celui de Jean XXIII et de Vatican II.

Retenons les principes posés par François sur la réforme de l’Église (Evangelii gaudium n. 30) : « un processus résolu de discernement, de purification et de réforme. » est à engager !

Place des femmes, conseils et ministères des laïcs, fraternité et joie dans la vie des communautés : il nous faut trouver ces chemins de manière résolue.

Une gouvernance nouvelle, sage et cohérente avec l’Évangile doit être entièrement repensée et mise en œuvre progressivement. Engageons les évêques réunis à Lourdes à trouver le lieu et la manière de cette innovation, de cette re-fondation, Sinon, d’autres les mettront en place, car l’Évangile sera plus fort que les structures.

« Avance au large » ; « n’aie pas peur » ; « amour et vérité se rencontrent ».

Amaury Dewavrin

 

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