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La Barque de Pierre ou le banc de poissons ?

La Barque de Pierre ou le banc de poissons ?

La vie dangereuse des catholiques sur internet

Réfléchir sur les effets d’internet dans la construction ou la destruction de l'unité entre les croyants.

 

Massimo Faggioli

États-Unis

 

Trois hauts responsables de l'Eglise à Rome ont récemment souligné la situation dangereuse des tensions actuelles entre catholiques.

Le premier est le cardinal Raniero Cantalamessa. Le capucin, qui est le prédicateur officiel de la Maison pontificale, a noté dans son homélie du Vendredi saint que la fraternité et l'unité entre les catholiques sont profondément blessées. Il a déclaré qu'il appartenait aux pasteurs de l'Église "d'être les premiers à faire un sérieux examen de conscience" et "de se demander où ils conduisent leurs ouailles : vers leur position ou vers celle de Jésus".

Trois jours plus tard, c'était au tour du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d'État du Vatican.

Dans une interview diffusée le 5 avril sur COPE[1], un réseau de radio appartenant à l'Église en Espagne, il disait que les divisions sont réelles et qu'elles posent problème : "Quiconque examine la situation de l'Église aujourd'hui doit s’en inquiéter".

Deux jours plus tard, le pape François s'est exprimé lors de l'audience générale du mercredi, faisant allusion à l'importance que certains catholiques accordent aux médias sociaux, alors qu'il parlait de la prière en communion avec les saints. "Les prières - celles qui sont bonnes – se répandent, elles se propagent continuellement, postées ou pas sur les médias sociaux ; elles vont des salles d'hôpital aux moments de rassemblement festif en passant par ceux dans lesquels nous souffrons en silence", a-t-il déclaré, ajoutant que "La souffrance de chacun est la souffrance de tous et le bonheur de l'un se transmet à l'âme d'un autre".

L'Église institutionnelle est remarquablement silencieuse

Il est très intéressant de suivre les propos de François sur la toile et les médias sociaux en ligne. Guido Mocellin, journaliste italien chevronné, suit la présence en ligne du pape depuis un certain temps pour l'Avvenire. Ce grand journal, qui appartient à la conférence épiscopale italienne, est devenu l'un des journaux les plus courageux d'Italie en raison de l'attention qu'il accorde aux questions sociales et internationales.

La présence de François sur les médias sociaux est intéressante car l'Église institutionnelle est remarquablement silencieuse quant à notre « vie en ligne » et ce qu’elle signifie de la communion entre nous.

A ce jour, il n'y a eu aucune tentative significative de l'autorité enseignante de l'Eglise pour donner un sens théologique à l'impact de notre vie numérique sur la communauté ecclésiale et son unité.

L'Eglise catholique a toujours été prompte à utiliser les moyens de communication modernes, mais lente et prudente dans leur évaluation.

De Pie XI à Paul VI

Plus de deux décennies après la création des industries cinématographiques nationales, le pape Pie XI a publié en 1936 une encyclique sur les images animées.

Vigilanti Cura s'adressait spécifiquement aux évêques des États-Unis, deux ans après qu'ils eurent mis en place « une sainte croisade contre les abus du cinéma et l’avoir confié d'une manière spéciale à la 'Légion de la décence' ».

L'un des premiers documents approuvés par le Concile Vatican II (1962-65) est Inter Mirifica, un décret sur les communications sociales. Il réfléchit à l'utilisation des moyens de communication de masse "pour l'instruction des chrétiens et le bien-être des âmes".

Le Vatican a ensuite publié une instruction pastorale en 1971 pour mettre à jour le décret conciliaire. Elle s'intitulait Communio et Progressio.

Aujourd'hui et depuis plus de vingt ans, existent diverses formes de médias sociaux. Mais l'institution n'a pas du tout parlé de ce type de moyens de communication sociale.

Le Vatican dans les années qui ont suivi Jean Paul II

Seules quelques Eglises locales ont fait un effort, notamment quant à l'impact de la culture numérique sur la catéchèse et la formation des ministres et des prêtres.

Aux États-Unis, tant la Directive 2020 pour la catéchèse que le texte de 2016 sur le Don de la Vocation sacerdotale (appelé Nouvelle Ratio Fundamentalis) font référence à la réalité de la culture numérique qui est à prendre nécessairement en considération, comme l'a souligné une experte de l'Amérique, Daniella Zsupan-Jerome.

Mais il n'y a pas grand-chose d'autre en termes de réflexion intellectuelle sur l'Église et internet, surtout en provenance du Vatican.

Le pape François a créé en 2015 un nouveau dicastère pour la communication, qu'il a chargé de réformer et de consolider les interventions médiatiques du Vatican. Quoi que l'on pense de cette réforme, ce nouveau dicastère est un bras exécutif et non - ou du moins pas encore - un lieu où le Vatican réfléchit sur les médias. Par exemple, sa page web comporte une section qui propose des documents du magistère de l'Église sur les médias. Le plus récent est une instruction que Jean-Paul II a publiée en janvier 2005. C'était il y a plus de 15 ans !

Les caractéristiques « liturgiques et quasi-religieuses » du catholicisme en ligne

De nombreux catholiques semblent maintenant passer plus de temps en ligne, y compris pour la prière, qu'ils ne le font pour la plupart des autres activités.

De fait, notre vie en ligne retrouve les caractéristiques liturgiques et religieuses traditionnelles : les solennités dans le calendrier, les saints et martyrs, la hiérarchie entre le célébrant et l'assemblée, les formes de sanctions et d'excommunion, etc. Elles jouent un rôle important dans la radicalisation des identités religieuses et sont un facteur de la montée de la polarisation et de la division dans l'Église.

Ce phénomène est plus rapidement intégré par la soi-disant ecclesia discens (les membres de l'Eglise qui sont censés être enseignés) que par la soi-disant ecclesia docens (les membres de l'Eglise qui sont chargés de l'enseignement). Cette dernière devrait en prendre note.

Patricia Lockwood, romancière et essayiste américaine, suit les interactions d'un protagoniste anonyme avec une plateforme virtuelle appelée "le portail" dans son premier roman, No One Is Talking About This (Personne n’en parle).

Elle décrit les effets de la vie en ligne sur l’ensemble de nos vies : les responsables d’Eglise devraient s’en inspirer. Par exemple, elle montre que notre vie communautaire sur la toile se comporte comme un banc de poissons qui change intuitivement de direction dans son ensemble, laissant isolés et exposés aux prédateurs ceux qui ne suivent pas.

Ce « courant de conscience » qu’elle décrit s’applique à la communauté dans laquelle « nous vivons dans un esprit qui n'est pas entièrement le nôtre et où on agit sur nous autant qu'on agit nous-mêmes ».

Quand le fanatisme religieux découvre internet

La dynamique que décrit P. Lockwood s'applique au langage des fanatiques religieux dans les médias sociaux, y compris ceux qui s'identifient comme catholiques.

« Ce qui commence comme un jeu verbal accrocheur vire rapidement en jargon, puis en doctrine, puis en dogme », note-t-elle. Cela me rappelle certains des diktats des grands inquisiteurs catholiques autoproclamés du 21e siècle, très suivis sur Twitter.

P. Lockwood a compris le mélange dangereux d'internet et du fanatisme religieux. Elle s'est rendue célèbre en 2017 grâce à ses mémoires intitulées Priestdaddy (Papa curé) dans lesquelles elle analyse son éducation en tant que fille d'un prêtre d'extrême droite. Son père était un ancien pasteur luthérien qui s'est converti au catholicisme et a été autorisé à garder sa femme et sa famille grâce à une dispense spéciale du Vatican.

Mais la vie en ligne des catholiques ne comporte pas que des mauvaises nouvelles. La nouvelle forme de communion virtuelle rendue possible par internet peut devenir un lieu de partage.

Il est temps de mener une réflexion théologique sur les médias sociaux

Un livre très intéressant publié en 2020 par Katherine Schmidt, une théologienne catholique américaine qui monte, souligne conséquences et opportunités théologiques qu’offre internet à l'Église.

"En l'absence des espaces offerts par le siècle passé, dans lesquels les membres du Corps du Christ pouvaient s’engager dans l’échange symbolique, l'internet est devenu un lieu potentiel de communion", dit-elle, ajoutant que "Sans ignorer la nature excessivement brûlante, divisante et violente de la communication sociale en ligne, il est possible d’y voir des moments d'échange symbolique qui reflètent l'amour gratuit de Dieu présent dans l'Eucharistie".

La pandémie de Covid a déplacé encore plus nos vies vers les espaces virtuels. Il est donc grand temps de mener une réflexion théologique sur les médias sociaux. Cette réflexion est nécessaire non seulement en raison du nombre de catholiques qui y passent une partie importante de leur vie, mais aussi parce que les médias sociaux ont modifié la dynamique de communication des responsables de l'Église, dans certains cas de manière désastreuse, dans la plupart des cas de manière inconsciente.

Pour les séminaristes et les jeunes clercs, internet semble parfois avoir remplacé les sources institutionnelles d'apprentissage et de formation.

Katherine Schmidt a fait valoir ailleurs que la culture numérique devrait être exigée de tous les ministres et dirigeants de l'Église, qu'ils soient laïcs ou clercs, et surtout enseignée dans les séminaires. Certains et certaines conférences épiscopales ont émis des directives et des orientations mais on peut s’interroger sur leur efficacité. Il serait intéressant d’examiner celles des diocèses dont les évêques proposent régulièrement des comportements embarrassants sur les médias sociaux.

Le fait que le Pape François ait l'un des comptes les plus suivis sur Twitter ne dit rien de la conscience qu’a l'Église des effets profonds des médias sociaux sur la vie des catholiques et sur la communion ecclésiale.

La Barque de Pierre est censée se comporter différemment d'un banc de poissons. Et pourtant l’image de l’Eglise et la vision d’elle-même qu’en ont ses membres, sont de plus en plus façonnées par les divisions qui s’exposent dans la vie en ligne des fidèles.


[1] Cadena de Ondas Populares Españolas. COPE est la marque utilisée par Radio Popular S.A., dont les actionnaires sont la Conférence épiscopale espagnole (50 %), les diocèses (20 %) et des ordres religieux comme les jésuites et les dominicains.

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Date de dernière mise à jour : 12/07/2021