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Revoir la question du ministère ?

Quelques critères pour une théologie pragmatique des ministères

Cet article de Thomas O'Loughlin  Royaume-Uni

publié le 13 juillet 2020 et traduit par jean-Paul pour la CCB Lyon

 

 

"Nous devons revoir la question des ministères dans l'Église", a déclaré Anne-Marie Pelletier dans un article de La Croix International du 25 juin.

A quoi ressemblerait une telle révision ? Elle soulève plusieurs questions fondamentales et pourrait bouleverser le statu quo que les quelques changements du code de droit canonique, envisagés par les évêques qui se disent prêts à se pencher sur la question, ne sauraient faire bouger.

 

Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Rencontrez n'importe quel groupe de catholiques aujourd'hui : rapidement quelqu'un vous dira que son diocèse ou sa communauté est en train de se réorganiser. Les paroisses sont regroupées, les ministres ordonnés sont répartis dans les communautés et l'accès aux rassemblements eucharistiques est réduit.

On donne parfois à ce processus des noms élégants dérivés d'analogies avec la situation des entreprises qui réduisent leurs effectifs, mais cela ne cache pas la réalité, à savoir que cette évolution est motivée par deux facteurs majeurs : la diminution du nombre de prêtres et leur vieillissement. Il est peu probable que cette situation - même avec l’arrivée de prêtres africains et indiens - change de sitôt.

Pour répondre à cette question, nous devons réfléchir aux fondements du ministère et ne pas nous contenter d'imaginer que ce qui a été son paradigme dans l'Église catholique romaine depuis le début du XVIIe siècle soit gravé dans le marbre, soit idéal d'une quelconque manière. En fait il ne s'agit que d'une réponse pragmatique à la Réforme. La vision de Trente du sacerdoce (le sacerdotium) est une réponse à la rébellion qu'il fallait empêcher de s’étendre.1

 

Le ministère liturgique

Chaque religion - et chaque confession chrétienne - a des responsables religieux qui jouent le rôle principal lors de ses rituels. Les rituels nécessitent une expertise et le niveau d'expertise requis est généralement directement fonction de l’ancienneté de la tradition du groupe religieux.

C’est un modèle binaire qui est à l'œuvre : un ministre unique ou un petit groupe ministériel agit, dirige, prêche, parle et enseigne d'un côté et, de l'autre, un groupe beaucoup plus important assiste, écoute et « reçoit » passivement le ministère. Ce modèle se résume dans ces mots : "le clergé administre les sacrements".

Ce modèle est précieux et largement apprécié car il s'intègre bien aux services de la société (par exemple les médecins dispensent des soins de santé au reste de la communauté ou les comptables fournissent des services financiers). Ainsi, le ministère du culte à plein temps est aligné sur le fonctionnement de la société. Par exemple le besoin de la société d'un service d'aumônerie justifie le clergé et son ministère liturgique.

 

La vie de disciple comme service d'intérêt général

En contraste frappant avec ces notions très structurées de ministère ou de sacerdoce, Jésus n'était pas un lévite ; son ministère s'est à peine engagé dans le système d’expertise religieuse, et lorsque ses structures sont rappelées (par exemple en Lc 10, 31-32 et Jn 4, 21), elles font l'objet de critiques ou sont présentées comme transitoires.

Si Jésus a désigné des messagers-prédicateurs (les apôtres), rien ne laisse supposer que ceux-ci étaient considérés comme des experts en matière de rituels.

Des responsables aux noms variés sont apparus dans les différentes Eglises primitives. Il y avait les "anciens" (presbuteroi) ou les "surveillants-serviteurs" (episkopoikaidiakonoi) - à l'origine un double nom pour une seule personne qui, plus tard, se divisera en "évêque" et "diacre".

Mais il a fallu des générations (Jusqu'à la fin du deuxième siècle : nous le savons maintenant par des textes attribués faussement à Ignace d’Antioche (ca 35-109) qui ont été écrits au plus tôt postérieurement à 160) pour que ces organisations soient harmonisées entre les communautés et ensuite transformées en structures d'autorité.

Les documents du premier siècle ne suggèrent pas que le leadership lors du baptême et de l'eucharistie, les deux événements clés de la communauté, était limité de quelque manière que ce soit, réservé aux responsables de la communauté ou encore moins à un groupe dûment autorisé.

Le lien entre le leadership de la communauté et la présidence du repas eucharistique (un lien qui allait conduire beaucoup plus tard à la réflexion sur le ministère et qui est toujours aujourd'hui une source majeure de division des chrétiens) ne sera pas établi avant le troisième siècle. Ce n'est que plus tard que sa justification par Jésus sera construite.

 

L'Église dans la société

Il a longtemps été illusoire pour les différentes confessions chrétiennes de penser que l’étude historique - en particulier des deux premiers siècles et des textes afférents qu'elles considéraient comme appartenant au canon du Nouveau Testament - pouvait justifier un modèle de ministère (par exemple la triple structure de l'ordre : évêque, prêtre, diacre) ou une réponse satisfaisante aux questions qui se sont posées ultérieurement (comme au temps de la Réforme la question du « pouvoir » du prêtre venant du Christ ou aujourd'hui si une femme peut présider l'Eucharistie).

C'est une quête illusoire car elle est victime de l'anachronisme qui fait considérer parfaite une époque révolue, un passé où tout aurait été révélé.

Elle suppose également que le ministère, tel qu'il s'est développé par la suite, n'est pas le résultat de forces multiples, souvent conflictuelles, au sein de sociétés particulières, ainsi que l’usage, par les chrétiens, d’autres structures religieuses bien connues à l’époque. Ainsi le système clérical, au sein duquel se situe le ministère liturgique, était à l'origine lié aux besoins politiques de l'Église en tant que corps public au sein de l'Empire romain.

Étant donné qu'il n'y avait pas de plan originel pour le ministère liturgique dans l'Église et que, suite à des siècles de conflits, de nombreux points de vue contradictoires sur le lien personne-ministère se sont développés, il est donc tout à fait impossible - sauf dans l’espace mythique de certains courants chrétiens – d’établir une base solide de justification du ministère liturgique.

Cependant, étant donné qu’il existe et qu'il est nécessaire, on peut établir certains critères qui peuvent aider les individus et les communautés à développer une théologie pragmatique du ministère liturgique.

 

 

 

Critères pour le ministère

a) Chaque ministère spécifique est une variation particulière du ministère de tous les baptisés, et dans le baptême il y a une égalité radicale. "Il n'y a ni Juif ni Grec ; il n'y a ni esclave ni homme libre ; il n'y a ni homme ni femme ; car vous êtes tous un dans le Christ Jésus" (Gal 3, 28). Cette égalité radicale est une caractéristique de la nouvelle création réalisée dans le Christ.

Par conséquent, toute distinction ultérieure de ministères particuliers qui ne sont pas potentiellement ouverts à chaque personne baptisée, équivaut à une théologie défectueuse du baptême par lequel tout ministère est mis en place.

Par conséquent, exiger des signes d'élection divine particulière (par exemple, la capacité de parler en langues ou de manipuler des serpents !) comme indication de l'aptitude au ministère va à l'encontre de la liberté baptismale.

De même, les règles qui limitent le ministère à des états de vie particuliers (par exemple, exiger le célibat comme condition du presbytérat) doivent être considérées comme une exigence excessive. Elles impliquent que le baptême n'est qu'une condition d'entrée dans le christianisme plutôt que la création d’une nouvelle personne pouvant exercer un ministère.

De même, l'idée que les femmes, en tant que telles, doivent être exclues du ministère sur la base d'une lecture historique déviante (par exemple Jésus n'a pas ordonné les femmes) n'a pas de sens - elle suppose une vision précritique de l'histoire sans une quelconque valeur - et ne tient pas compte du rôle fondamental du baptême dans toute l'existence et l'action chrétiennes.

b) Nous devons respecter l’évidence que toute action et tout ministère chrétiens sont de nature chrétienne.

Les chrétiens forment un peuple, un peuple sacerdotal. Nous perdons de vue, trop souvent et trop facilement, le fait que les chrétiens doivent penser leur liturgie d'une manière radicalement opposée à celle des autres religions et de leur service religieux dû à Dieu ou aux dieux.

Dans ce dernier paradigme, le divin est opposé au monde dans lequel nous vivons. On doit lui présenter ou lui offrir quelque chose - cela constitue le seul mode de contact avec lui - en reconnaissance de dette, en appui d’une demande ou en apaisement de son courroux.

Établir ce lien, que ce soit par un individu ou un groupe, suppose une connaissance technique et une compétence sacrée - généralement donnée par un sacerdoce spécial - de sorte que le divin reconnaisse que l'action accomplie est un acte sacré recevable.

Au contraire dans le culte chrétien, le prêtre vient vers les fidèles et est avec eux en tant que communauté. Ainsi, lorsque deux ou trois personnes sont réunies au nom de Jésus, il est avec elles (Mt 18, 20), et leurs actions communes - comme la célébration d'un repas - se déroulent en présence du Père, car le Christ, présent parmi eux, est leur seul et unique Grand Prêtre.

Cette vision théologique a des implications importantes pour les chrétiens engagés dans l'Église. Au sein du christianisme, le ministère est celui de toute la communauté.

 

Langue et ministère sacerdotal

Il convient également de rappeler que le langage nous joue un mauvais tour dans la compréhension du ministère sacerdotal.

Le cohen de l'Ancien Testament (que nous rendons par le mot "prêtre") accomplissait des tâches spéciales au nom du d'Israël (voir Lévitique et Nombres). Cela fut rendu dans la Septante par le mot hiereus - un mot couramment utilisé pour les responsables païens des temples - puis, plus tard, en latin par sacerdos, qui était un mot générique couvrant tous les différents « sacerdoce » spéciaux des temples tels que les flamenes2 et les pontifices3.

Les premiers chrétiens n'utilisaient pas ces mots pour leurs dirigeants car le hiereus /sacerdos appartenait à Jésus seul dans le temple céleste. Les chefs chrétiens étaient désignés par leur relation avec la communauté : comme ceux qui veillaient sur elle, la dirigeaient ou la servaient.

Plus tard, hiereus /sacerdos est devenu la base de la perception qu'avaient les chrétiens de leurs presbytres4 - ainsi notre mot « prêtre » est-il étymologiquement issu de ce mot, mais conceptuellement il se rapporte aux fonctions sacerdotales - ceci étant ils ont dû s’interroger sur ce qui les rendait différents et s’ils avaient une qualité religieuse particulière que les autres ne possédaient pas (et qu’elle était-elle).

La réponse est venue avec la notion de pouvoir des prêtres de « consacrer » et ce pouvoir (sujet à une inflation rhétorique) est devenu la base de la différence ontologique entre eux et les chrétiens ordinaires dont le « ministère » est de prier, payer et obéir.

Après plus d'un millénaire et demi de ces confusions dans le christianisme, tant en Orient qu'en Occident, il est très difficile pour beaucoup de ceux qui se considèrent comme des ministres dans l’Église, de se libérer de ce fardeau.

La tradition est comme un grand pétrolier qui veut amorcer un virage en mer : il lui faut beaucoup de temps pour surmonter son inertie et répondre à la barre.

 

Par où commencer ?

Dans chaque communauté il y a les compétences qui ont permis de la rassembler et de lui donner une identité. Il s'agit de reconnaître ces véritables ministres et de leur faciliter la tâche pour rendre leur ministère plus efficace et plus fructueux.

Certains auront le don d'évangéliser et d'accueillir, d'autres la compétence pour diriger la prière et l'offrande eucharistique, d'autres le don d'enseigner, d'autres de réconcilier, d'autres encore pour entraîner chaque communauté à l'édification du royaume et d'autres encore auront des compétences de gestion. Aucun n'est plus grand et aucun n'est moins grand.

Dans toute réflexion sur les ministères nous devons avoir en tête le conseil de Paul à l'Église de Corinthe vers 58 de notre ère qui présente tout ministère comme l'accomplissement de la présence de l'Esprit dans l'assemblée :

« Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit.

Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur.

Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous.

À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous.

À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter.

Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.

Prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps.

Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps.

Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit. Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit ». (1 Co 12, 4-13).

Si ces mots résonnaient aujourd'hui, nous parlerions moins de fermeture d'églises et de regroupement de paroisses et nous pourrions alors passer à la tâche plus fructueuse de découvrir la richesse des vocations parmi nous.

Il n'y a qu'une seule et logique certitude : l'avenir ne sera pas comme le passé. Lorsque le présent cherche à se replier sur son passé, il est dans l’erreur par rapport à son temps.

 

Thomas O'Loughlin est prêtre du diocèse catholique d'Arundel et Brighton et professeur de théologie historique à l'université de Nottingham (Royaume-Uni). Son dernier livre récompensé est intitulé “Manger ensemble, devenir un – recevoir l’appel du pape François aux théologiens », « Eating Together, Becoming One : Taking Up Pope Francis's Call to Theologians » (Liturgical Press, 2019).

Une exploration plus complète du thème de cet article se trouve dans "Face à une Eglise privée de liturgie : Faut-il repenser les bases du ministère ? (New Blackfriars 100, 2019, pp. 171-83).