C'est l'Eglise qui quitte les gens - Pasteur James Woody - EPU Montpellier

Il est de coutume de dire que les gens quittent l’Église parce que notre époque est à la sécularisation. Ce constat me semble doublement faux.

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Luc 10/25-37


25 Un docteur de la loi se leva, et dit à Jésus, pour l ‘éprouver: Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? 26 Jésus lui dit: Qu‘est-il écrit dans la loi ? Qu‘y lis –tu ? 27 Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée; et ton prochain comme toi-même. 28 Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu vivras. 29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : Et qui est mon prochain ? 30 Jésus reprit la parole, et dit : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands, qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups, et s’en allèrent, le laissant à demi mort. 31 Un sacrificateur, qui par hasard descendait par le même chemin, ayant vu cet homme, passa outre. 32 Un Lévite, qui arriva aussi dans ce lieu, l’ayant vu, passa outre. 33 Mais un Samaritain, qui voyageait, étant venu là, fut ému de compassion lorsqu’il le vit. 34 Il s’approcha, et banda ses plaies, en y versant de l’huile et du vin ; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie, et prit soin de lui. 35 Le lendemain, il tira deux deniers, les donna à l’hôte, et dit : Aie soin de lui, et ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour. 36 Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ? 37 C’est celui qui a exercé la miséricorde envers lui, répondit le docteur de la loi. Et Jésus lui dit : Va, et toi, fais de même.

 

 

Chers frères et sœurs, il est de coutume de dire que les gens quittent l’Église parce que notre époque est à la sécularisation. Ce constat me semble doublement faux. Plus faux encore en ce jour où nous célébrons un baptême d’enfant qui, pour une part, exprime le fait que notre Église ne va pas se vider un peu plus. Pour comprendre les raisons pour lesquelles il est inexact de dire que les gens quittent l’Église en raison de la sécularisation, cette parabole du bon Samaritain sera un excellent pédagogue.

C’est l’Église qui quitte les gens

La première inexactitude consiste à dire que les gens quittent l’Église. Quand une Église se vide, ce n’est pas parce que les paroissiens quittent l’Église en question, c’est parce que l’Église quitte les gens. Quand une Église se vide, c’est parce que ses cadres d’Église, les personnes qui ont la responsabilité de la vie de l’Église et donc de sa vitalité, ont quitté les paroissiens, de la même manière que le prêtre et le lévite de la parabole se sont éloignés de la personne qui était à moitié morte sur le bord du chemin.

Le prêtre et le lévite font un écart pour éviter la personne qui gît sur le côté. Le rédacteur biblique dit même qu’ils vont de l’autre côté de la route, ils vont à l’opposé de l’endroit où se trouve cette personne. Le terme grec est significatif : antiparelthen. Il y a le verbe erchomai et le préfixe anti. C’est ce préfixe qui donne toute sa couleur à l’expression. Le prêtre et le lévite ont une attitude « anti » situation de l’homme blessé. Ce n’est pas cet homme qui ne se rendra pas au culte. C’est le culte qui abandonne cette personne. C’est le culte qui est même « anti », opposé voire hostile à cette personne.

 

 

Quand une Église se vide, ce n’est pas parce que les paroissiens quittent l’Église, mais parce que l’église quitte les paroissiens, les personnes ; c’est parce qu’elle abandonne leurs préoccupations ; c’est parce qu’elle s’éloigne des questions vitales qui se posent à ses contemporains, c’est parce qu’elle va à l’encontre des besoins fondamentaux des gens. Le prêtre et le lévite sont enfermés dans leur propre préoccupation et sont devenus non seulement hermétiques à tout ce qui extérieur et même anti-ce-qui-est-à-l’extérieur. Pourquoi le prêtre et le lévite font-ils un écart ? C’est parce que l’homme est à moitié mort, comme le dit le rédacteur. Or toucher un mort est un motif d’impureté. Le prêtre et le lévite ne prennent donc aucun risque. En n’allant pas porter secours au malheureux qui gît à même le sol sur cette route qui mène en dessous du niveau de la mer (Jéricho est la ville la plus basse du monde à 240 mètres sous le niveau de la mer), le prêtre et le lévite font preuve d’une vigilance indiscutable sur leur état de pureté. Et c’est au nom de cette pureté rituelle qu’ils s’éloignent de la pureté éthique. Enfermés dans le respect scrupuleux de leurs règles religieuses, le prêtre et le lévite s’éloignent de l’humanité. Ce sont eux qui quittent l’humanité. C’est par leur attitude que la vie est désormais ailleurs que dans le temple.

Voir la moitié vivante

Cette parabole donne matière à penser par un jeu de contraste tout à fait saisissant pour peu que nous ayons en tête quelques éléments historiques : il y a toujours eu une rivalité entre le Royaume du Nord, Israël, organisé autour de sa capitale Samarie, et le Royaume du Sud, Juda, organisé autour de sa capitale Jérusalem. Dans la Bible, c’est une rivalité qui s’exprime par la tension entre Saül qui est le roi d’Israël et David qui règne sur le Sud. Cette tension s’exprimera d’ailleurs dans un cadre analogue à notre texte, en 2 Samuel 16, sur cette route qui mène de Jérusalem à Jéricho, par le fait que le roi David sera lapidé par Shimeï, un homme de la même famille que Saül. Tout oppose Samaritains et Judéens. Or, précisément, sur cette même route qui conduit de Jérusalem vers le Jourdain, c’est un samaritain, l’homme le plus anti-judéen qui soit, qui va s’approcher de l’homme blessé et lui porter secours.

Le rédacteur écrit que le samaritain proselethon, ce qui est l’exact contraire de l’attitude du prêtre et du lévite. Il y a toujours le verbe erchomai, mais cette fois le préfixe et pro. Alors que le prêtre et le lévite étaient anti-, le samaritain, lui, est pro. C’est ce qui va faire du samaritain le « prochain » de l’homme blessé. Nous devrions dire par un néologisme un peu cavalier que le prêtre et le lévite sont des « antichains ».

Et nous apprenons ce qui a conduit le samaritain, l’homme le plus éloigné, à s’approcher de l’homme à moitié mort : il a été saisi aux entrailles, il a eu pitié. Ce qui fait la différence entre le prêtre et le lévite, d’une part et le samaritain, d’autre part, c’est que le clergé a vu la moitié morte, le samaritain a vu la moitié vivante. Oui, cet homme sur le bord du chemin, est déclaré par le rédacteur biblique « à moitié mort », émithanè. Ce émi  que nous retrouvons dans hémiplégique, dit bien que l’homme est à moitié mort, ce sur quoi se focalise le clergé. Cela implique qu’il est aussi à moitié vivant, ce sur quoi se focalise la samaritain.

La différence entre les deux groupes, c’est que le clergé a peur de la mort alors que le samaritain est attiré par la vie. C’est là la grande ligne de facture qui traverse toute institution, au premier rang desquelles les Églises. C’est donc la grande question qui se pose à chacun de nous : quelle moitié voyons-nous ? À quelle moitié nous fions-nous ? Voici, Dieu place devant nous la vie et la mort (Dt 30), allons-nous avoir peur de la mort et mener notre vie en fonction de la mort ou allons-nous être attirés par la vie et mener notre vie en fonction de la vie ?

Serons-nous comme le clergé de la parabole qui ne voit que le côté mortel, le côté impur de l’existence et qui fuit la vie par peur de se salir les mains ? Serons-nous comme le samaritain qui est sensible à la moindre trace de vie et qui, en dépit du fait qu’il n’a pas touché un Juif, le prendra à bras le corps, deviendra son prochain, son voisin immédiat pour le relever de cette situation mortelle, c’est-à-dire pour le ressusciter, pour le sauver ?

Cela nous montre que la sécularisation n’est pas la cause des Églises qui se vident. Dans cette parabole, nous sommes en plein contexte de sécularisation et ce n’est pas la sécularisation qui pose problème, c’est le clergé, c’est la manière que l’Église a de se maintenir à distance des difficultés humaines. Quand l’Église se ferme aux véritables souffrances humaines, aux questions que se posent les personnes, alors d’autres lieux se remplissent qui deviennent les hôtelleries de tous les abandonnés de l’Église. Quand l’Église quitte les gens, de nouveaux temples se remplissent pour accueillir l’humanité. Quand l’Église trouve plus astucieuse d’obéir à la loi de l’institution plutôt qu’à la loi de Dieu, quand elle s’intéresse à sa survie plutôt qu’à la vie des gens, elle n’est plus en mesure d’être prise aux entrailles par la misère humaine, elle n’est plus en mesure de s’approcher de la vie, elle n’est plus en mesure de faire bénéficier quiconque de la grâce de Dieu, elle n’est plus en mesure d’être un agent du salut de Dieu.

En contexte de sécularisation, Jésus révèle qu’il est possible d’être profondément attirés par la vie que Dieu nous révèle et de nous approcher de toutes les situations où des bouts de vie ont besoin de reprendre de l’ardeur, d’être réveillés, d’être ressuscités. En contexte de sécularisation, Jésus révèle qu’il est possible de nous approcher des situations que l’Église pourrait considérer comme perdues, et de les sauver de leur demi-morts. En contexte de sécularisation, Jésus nous révèle qu’il est possible de répondre à notre vocation divine qui est d’être profondément humain et d’être, par conséquent, attirés par tous les frémissements d’humanité pour leur redonner une pleine vitalité. Cela, nous ne saurions mieux le dire qu’avec les mots du théologien Albert Schweitzer qui disait à ses paroissiens : « vous allez tâcher que l’homme ne périsse pas. Suivez-le comme je l’ai suivi, et rejoignez-le là où les autres ne le trouveraient plus, dans la boue, la bestialité, le mépris ; allez à lui et soutenez-le jusqu’à ce qu’il redevienne un homme. Jésus a soudé si étroitement l’une à l’autre religion et humanité qu’il n’y a plus de religion sans vraie humanité et que les devoirs de la vraie humanité ne se conçoivent pas sans religion. »

 

James Woody

Pasteur de l’EPU de Montpellier