Joseph Doré, « Croire en la résurrection de Jésus-Christ », Études, avril 1982, Questions religieuses, p. 525-542.

 « CROIRE en la résurrection de Jésus-Christ » : le titre retenu pour les pages qui vont suivre a été choisi avec suffisamment de précision pour déclarer d’emblée l’intention qui les porte.

 

… de Jésus-Christ

Première indication claire : on va traiter ici du destin personnel de cet homme du 1er siècle de notre ère qui s’appelle Jésus de Nazareth. La suite montrera que et pourquoi ce point n’est en réalité ni négligeable en soi ni évident pour tous.

Le seul fait de parler de Jésus-Christ introduit cependant une seconde précision, de grande importance : on n’entend pas dans cet article se limiter à l’évocation d’un événement— si étonnant soit-il — qui aurait concerné le prophète, à maints égards comparable à tant d’autres, qui fut crucifié sous Ponce-Pilate et aux portes de Jérusalem. L’appellation- « Jésus-Christ » indique de soi que Jésus est considéré comme plus que « simplement Jésus ». On peut déjà souligner que c’est justement le fait de croire qu’il était ressuscité qui a conduit à le reconnaître comme Christ et que cette reconnaissance le situe de fait d’une manière tout à fait singulière et par rapport à Dieu et par rapport aux hommes.[1]

Autant le dire par conséquent: dans les réflexions qui vont suivre, la prise de position sur un événement concernant Jésus (sa résurrection) apparaîtra indissolublement liée à une interrogation sur son identité propre (comme Christ).

 

croire en...           -

Apportée d’emblée elle aussi par le titre de ces pages, une troisième précision concerne la modalité concrète de la prise de position qui vient d’être évoquée à l’instant. La résurrection, déclare en effet ce titre, relève d’un croire. Sur ce point encore, la suite montrera la difficulté d’une juste compréhension de ce qui est en cause.

Cela dit, il n’est pas négligeable de souligner sans plus attendre que le croire en question est présenté comme un croire « en... » Car une telle façon de s’exprimer n’est pas neutre : elle suggère que si la résurrection nous concerne par le biais d’un acte que nous sommes invités à poser à son sujet (l’acte de croire), cet acte a pour effet et pour forme de faire entrer effectivement en elle ceux qui le posent, de les rendre participants du dynamisme de vie par lequel elle se traduit. D’où le souci principal de ces pages : ne jamais séparer ce qui se propose ici à croire de l’acte par lequel il s’agit de le croire. Faire apparaître, au contraire, que si l’on est invité à croire en une résurrection, c’est par et dans une démarche qui a quelque chose de ressuscitant pour celui qui décide de l’accomplir. Bref, manifester que croire à la résurrection de Jésus, c’est en vérité croire en Jésus-Christ comme, indissociablement, ressuscité et ressuscitant — ressuscité en lui-même — et ressuscitant pour nous.

 

…la résurrection...

II ne suffit pas, toutefois, de se demander si Jésus est vraiment ressuscité et, si oui, ce que la résurrection révèle de son identité personnelle et de son intérêt pour le reste des hommes. Il faut aussi s’expliquer sur ce que l’on entend par « résurrection » car cela ne va nullement de soi ! Pour clarifier la chose, on pourrait certes s’en rapporter directement au Nouveau Testament lui-même : aux différents textes où il est question du destin de Jésus après sa mort en croix et aux différents termes — la terminologie de la résurrection n’est pas la seule qui soit utilisée — à l’aide desquels ce destin est exprimé.

A dessein, ce sera plutôt une autre voie qui sera suivie ici. On commencera par présenter un relevé et une évaluation des opinions et des questions courantes aujourd’hui à propos de la résurrection de Jésus. Et c’est seulement dans un deuxième temps que seront interrogés la foi et le témoignage apostoliques tels que les consignent les écrits synoptiques, pauliniens et johanniques.

 

  1. OPINIONS ET QUESTIONS D’AUJOURD’HUI

 

Un certain flou apparaît présentement répandu parmi les chrétiens, il faut bien en convenir, lorsqu’on essaye d’y voir clair sur ce qu’ils croient et/ou pensent à propos de la résurrection de Jésus. Un peu de réflexion suffit cependant pour dégager assez nettement non seulement les grandes catégories selon lesquelles peuvent se répartir leurs opinions, mais aussi les structures mentales qui fondamentalement les commandent, à travers leur diversité même.

 

Quatre types de prises de position

Pour donner un aperçu des questions et des réponses qui circulent aujourd’hui chez les chrétiens concernant ce point de la foi chrétienne, partons d’un questionnaire élaboré par Témoignage Chrétien en 1980, assez largement diffusé par cet hebdomadaire, et qui devait récolter près d’un millier de réponses. Il invitait et invite, tout compte fait, à distinguer quatre types d’opinion[2].

 

1. Dans un premier type de prise de position on soutient, sans s’encombrer de précautions ou de ratiocinations qu’on juge superflues, que Jésus a repris possession de son cadavre après sa mort et son ensevelissement, et qu’il l’a introduit au ciel où, corps désormais glorieux, il siège à la droite de Dieu. Pour professer une telle opinion, on s’appuie sur deux données qu’on tient, sans plus, pour historiquement assurées dès lors qu’elles figurent dans le Nouveau Testament, et qu’en conséquence on présente comme des preuves somme toute péremptoires : son tombeau a été trouvé vide au matin de Pâques, et, peu de temps après, certains de ses disciples l’ont vu leur apparaître, l’ont entendu et touché, ont même mangé avec lui.

Inutile de s’arrêter au soupçon de mythologie ou de naïveté : on estime que commencer à s’interroger sur le bien-fondé de telles données c’est déjà, ou quitter l’attitude du croyant authentique, ou s’aventurer sur une voie qui en tiendra toujours écarté. Enfin, passant de ce qui soutient la foi en une résurrection de Jésus à ce qu’elle est elle-même susceptible de soutenir, on fait valoir, dans une perspective apologétique bien déterminée qu’en tout cela Jésus a irrécusablement fait la preuve de sa divinité. Comment nier en effet, fait-on observer, que seul un Dieu pouvait détenir, ainsi, la puissance de se ressusciter lui-même ?

 

2. Un deuxième courant exprime l’opinion que Jésus est personnellement vivant et qu’il a donc effectivement traversé la mort (car il l’a réellement subie comme c’est le sort de tout homme). On ne voit guère, toutefois, comment cette nouvelle vie se réalise pour lui, comment elle est véritablement corporelle, etc. Et l’on ne se préoccupe guère, en tout cas, de ce qu’une telle affirmation concernant le destin personnel du prophète de Galilée peut entraîner pour la conception que l’on doit dès lors se faire de Dieu et, plus encore, de l’identité réelle de Jésus ou pour le sens que peuvent prendre par rapport à cela le destin humain en général et, déjà, la démarche de foi comme telle.

En somme : on affirme assurément que ce la tradition appelle la résurrection a bien concerné Jésus lui-même en ce sens que, par elle, Jésus a bien été rendu à la vie ; mais on ne voit ni quelles possibilités il y aurait d’aller au-delà d’une telle affirmation, ni quel intérêt cela pourrait présenter. Car d’un côté, pour peu qu’on soit informé des travaux des spécialistes sur les écrits du Nouveau Testament, on admet qu’il y a une part d’interprétation, d’arrangement littéraire et de présentation apologétique dans les récits des apparitions et du tombeau vide ; et l’on en déduit que l’heure est venue de consentir généreusement et sereinement à certains délestages, et de savoir décréter d’autant plus doctes certaines ignorances qu’elles sont à tout prendre insurmontables. D’un autre côté, on a fini par retenir une leçon répétée à l’envi durant ces dernières décennies que la foi n’est pas d’abord un savoir ni d’abord affaire de contenu, que l’essentiel c’est de s’engager et de se convertir pour s’arracher à tout ce qu’il peut y avoir de mortifère dans sa propre vie et dans le monde, et pour le faire reculer par tous les moyens possibles, etc.

A travers tout cela on n’omet pas de reconnaître que Jésus a été dans l’histoire et reste aujourd’hui la voix d’un appel sans équivalent à une vie humaine pleine de sens, et le chemin vers l’accomplissement heureux d’une espérance fondée. On ne s’en déclare pas moins porté à négliger ce qui a bien pu lui arriver à lui-même autrefois, afin de ne s’intéresser que davantage et mieux ç ce qu’il peut permettre de vivre aujourd’hui. On « sent bien » que ce n’en est pas fini de Jésus et qu’il a de toute manière partie liée avec ce que l’on tient soi-même pour le sens de sa propre vie. On veut bien exprimer cela en disant avec la tradition chrétienne qu’il est ressuscité. A proprement parler pourtant, on ne voit pas bien à quoi cela correspond pour lui et, au fond, on ne se préoccupe pas beaucoup de le savoir.

 

3. Un troisième type d’opinion mérite encore d’être signalé. Allant beaucoup plus loin que la précédente dans la direction que déjà elle ouvre, cette nouvelle catégorie de prises de position ne fait pratiquement plus état d’une résurrection de Jésus. Tout ce que l’on consent à dire ici, c’est en effet que « Jésus est vivant »... mais en apportant immédiatement une précision de taille qui est la suivante. Il faut se garder des vieilles représentations et habitudes de pensée. En fait, il n’y a pas du tout à comprendre que Jésus aurait été arraché à la mort. Ce qu’aujourd’hui il faut réaliser, c’est que si Jésus doit et peut être déclaré vivant, c’est purement et simplement  à travers et en ceux qui font aujourd’hui référence à lui. Ce n’est pas lui qui, se survivant de quelque manière à lui-même, continue ; c’est nous qui prenons son relais. Si quelque chose perdure malgré tout de ce qu’il a été ou de ce qu’il a vécu, c’est sa « cause », sa « chose », son « esprit », sa manière de vivre, son style d’existence mais cela dans la stricte mesure où, puisant dans son enseignement et s’inspirant de son exemple, des hommes poursuivent après lui, mais sans lui, ce à quoi la mort a définitivement mis fin en lui.

Désormais seule tenable, estime-t-on, cette position a pour elle, on tient à le faire remarquer, une double lucidité et un double courage. D’abord vis-à-vis de la tradition chrétienne elle-même, dont les tenants ne verront là que contamination par l’esprit du siècle, voire abandon coupable de fidélité, puisqu’à clairement parler on prétend bel et bien cette fois qu’il faut complètement et à tout jamais faire un deuil de Jésus. Lucidité et courage analogues, d’autre part, face à tous ces contemporains sécularisés auxquels leur superficialité ou leur suffisance interdit de fait de s’arrêter à considérer une donnée pourtant incontestable. Qu’ils s’en rendent compte ou non, qu’ils le veuillent ou non, c’est bel et bien à Jésus de Nazareth et à nul autre que, de fait, ils doivent certains « des idéaux, des modèles et des indicateurs de valeur » sans lesquels « même la société la mieux organisée, la plus riche et la plus perfectionnée resterait finalement pitoyable et barbare ! »[3]. Tout cela (qui, depuis lui, a fait jusqu’aujourd’hui son chemin parmi nous), c’est de fait Jésus qui l’a induit dans notre histoire. Le reconnaître peut n’être pas spontané ni courant à l’heure actuelle ; c’est pourtant exigé par la simple honnêteté. Il n’est pas besoin d’acquiescer à tout le système de la dogmatique chrétienne (et d’abord d’adhérer à une véritable résurrection de Jésus) pour admettre ce que, en vérité, un peu d’attention portée à l’histoire de l’Occident durant les deux derniers millénaires suffit à établir : qu’inscrire dans sa propre existence certaines valeurs et certains idéaux, c’est de fait continuer à donner actualité à quelque chose qui n’a pour nous sa source historique en nul autre que Jésus ; c’est continuer à faire vivre parmi les hommes quelque chose qui a pris vie et corps par et en Jésus aux jours de Tibère et de Ponce Pilate... et qui, en fait, n’est ainsi pas tout à fait mort avec lui !

 

4. Il convient enfin de faire état d’une quatrième catégorie. Ici on ne considère plus la résurrection de Jésus que comme un « chiffre », que comme un pur symbole. On l’interprète comme le symbole d’une profonde vérité humaine de portée véritablement universelle (et qu’il conviendra donc finalement de désolidariser totalement de la figure de Jésus). A savoir : que rien ne doit jamais être considéré comme radicalement compromis dans l’existence humaine ; qu’à certaines conditions le bien peut toujours sortir du mal ; que l’espérance peut être maintenue envers et contre tout ; que même la mort ne doit pas être source d’accablement car il est véritablement possible de lui donner sens à elle aussi si l’on y voit le moyen de parvenir à la vraie sagesse et de se livrer dans un vrai service, etc. Certes, il ne faut pas le nier, il se trouve que cette vérité humaine d’intérêt général s’est exprimée à travers les siècles, et en Occident du moins, en référence à la figure de Jésus et en termes d’une résurrection de Jésus-Christ. Cela a pu et peut toujours aider des hommes à donner un sens à leur vie. Il ne faut pas se leurrer ni être dupe pour autant ; il serait dangereux parce qu’illusoire, et donc aliénant, de rester englué dans des représentations idéologiques et des références historiques désormais périmées. Il faut se le tenir pour dit : Jésus est mort et définitivement mort ; et Dieu aussi est mort, il n’y a pas de Dieu.

Aussi paradoxal que cela puisse à première vue paraître, ce que Jésus apprend aux hommes c’est en réalité, poursuit-on, comment ils peuvent vivre sans Dieu et sans dieux, sans Christ et même sans Jésus ! Car il faut bien le comprendre : dire Jésus ressuscité alors que son aventure avait fini dans une déroute totale, c’était, dans un contexte où l’existence de Dieu (Yahwé) allait de soi, la manière adéquate d’exprimer que c’était Jésus qui, contre ses censeurs, ses juges et ses exécuteurs, avait eu raison de vivre comme il avait vécu et de mourir pour ce pour quoi il était mort. Dans le monde athée et sécularisé qui est celui d’aujourd’hui, on doit pouvoir réaliser que ce qui s’exprimait là, ce n’était au fond rien d’autre qu’une conviction fondamentale sur ce qui peut donner son plein sens humain à l’existence humaine : l’amour effectivement pratiqué et le service authentiquement désintéressé. Jésus est mort dans l’abandon de Dieu ; lui-même a prévenu qu’il était bon qu’il s’en aille. Leur place à l’un et à l’autre est désormais vide, mais ils ont permis aux hommes de découvrir comment ils peuvent seuls tenir la leur. On aurait mauvaise grâce à ne pas leur en savoir gré, mais il faut consentir à les laisser maintenant s’en aller. Bref : il ne faut pas (ou plus) se raconter d’histoires ; il faut seulement tenter de vivre — c’est-à-dire, toujours, de revivre ou de survivre. Depuis Jésus (qui est donc finalement à oublier, car l’évocation de sa figure risquerait toujours de nous masquer nos tâches), nous est ouverte la faculté de considérer que, envers et contre tout, c’est possible. Il n’y a pas à chercher ailleurs ou autrement le sens et la portée de ce que, en des temps naguère encore croyants mais désormais morts, on estimait pouvoir tranquillement appeler la résurrection de Jésus.

 

Deux attitudes fondamentales

 

Ayant enregistré comme on vient de le faire la diversité des prises de position concernant la résurrection de Jésus, il sera éclairant, en vue d’aller plus loin, de mettre à jour ce qui, en deçà d’elles-mêmes, les commande. Il semble qu’à l’arrière-plan on puisse discerner ici essentiellement deux structurations mentales, deux attitudes fondamentales.

 

1. On peut tout d’abord repérer une attitude que, pour faire bref, on appellera objectiviste. Cette attitude est celle qui estime que pour être en droit de parler véritablement d’une résurrection de Jésus, il faut pouvoir dire que, somme toute, elle a été l’objet d’un véritable constat ; d’un constat objectif et en quelque sorte neutre de la part de ceux qui nous en parlent. Or, se plaît-on à souligner, tel est bien le cas. A vrai dire certes, on le reconnaît, ce constat n’a pas porté sur la résurrection elle-même, car il est bien clair que personne n’a assisté au surgissement même de Jésus hors du tombeau ; il a porté sur des effets de la résurrection. Mais, ayant objectivement constaté le vide du tombeau,  ayant objectivement constaté la présence de Jésus devant eux quelque temps après sa mort, les disciples y ont effectivement vu la preuve que Jésus avait bel et bien traversé la mort, et donc qu’il était bel et bien ressuscité.

A partir de là, il ne s’agirait plus aujourd’hui que d’établir l’honnêteté de leur témoignage, et dans la mesure où l’on considère qu’il est possible de l’établir, on pourra s’estimer fondé à parler de la résurrection de Jésus comme d’un fait objectivement affirmable par nous puisqu’il aurait été objectivement constaté par des témoins qualifiés. On ne craindra pas alors de prétendre que la résurrection est un fait historique comparable, par exemple, à la réapparition de la fille du tsar Alexandre III après une longue disparition du cercle de ses relations habituelles, ou même au retour de Napoléon après l’exil à Sainte-Hélène ! Des témoins ont constaté, ont vérifié, ont parlé. Plus on pourra les reconnaître et les déclarer objectifs dans leurs propres déclarations, et plus on estimera fondée leur/notre affirmation de la résurrection de Jésus.

 

2. Face à cette attitude bien caractérisée, on peut en typer une deuxième, que par contraste on peut appeler subjectiviste. Certains commenceront ici par faire remarquer que, s’il faut en croire les textes du Nouveau Testament lui- même, les témoins ne disent jamais qu’ils ont constaté une résurrection de Jésus ni qu’ils se sont fait sur elle une opinion fondée à partir de preuves péremptoires : ce qu’ils disent très clairement, souligne-t-on, c’est qu’ils ont cru en une Résurrection de Jésus.

Dès lors, en déduit-on, il faut bien admettre que cette résurrection n’était pas évidente à leurs yeux... et donc qu’elle n’est pas si sûre qu’on veut bien le dire ! Ils se sont certes engagés dans leur affirmation, ils ont même joué leur existence sur elle — soit. Mais, fait-on aussitôt observer, ils ont pu être victimes d’une illusion, même de bonne foi. S’il en va ainsi, on ne peut se fonder, sans plus, sur leurs allégations. C’est sur des données vérifiables par soi-même, aujourd’hui, qu’il faudrait pouvoir s’appuyer. Or quelles vérifications sont à notre portée ? Pour ce qui est de Jésus lui-même nous n’avons pas d’autres témoignages que ceux des apôtres ; et pour ce qui est du reste de l’histoire, il est bien clair que la résurrection du Christ n’a jamais eu d’analogue par la suite. Comment alors tenir pour assuré quelque chose qui nous est présenté comme un fait, mais dont aucune vérification ne nous est en réalité possible ? Mieux vaut adopter la position qui paraît bien en l’occurrence la plus pertinente : tout cela renvoie à la pure subjectivité des apôtres. Pour dire les choses simplement mais clairement : tout cela ne s’est en réalité passé que dans leur esprit à eux, que « dans leur cœur » (voir Emmaüs !).

II est assuré qu’à partir d’un certain moment, leur vie et leur comportement ont changé, qu’ils se sont mis à revivre, à parler, à se rassembler, etc. II ne faut pas le nier mais il faut le comprendre alors que cela ne valait évidemment que pour eux, ils se sont laissés aller à projeter cela sur Jésus. Quant à nous, gardons le bébé et jetons l’eau du bain : la prétendue résurrection de Jésus, c’est en nous qu’il faut la chercher si elle existe ; c’est dans notre propre subjectivité, notre existence, notre vie, qu’elle prend exclusivement consistance et quelle peut, en tout cas, être vérifiée…  Et c’est ainsi, finalement, qu’on en vient à n’y plus voir qu’un pur symbole d’une vérité humaine générale, accessible à tout homme en dehors même de toute référence chrétienne.

 

3.  Tout se passe donc, en première approximation du moins, de la manière suivante. D’un côté, on estime pouvoir d’autant mieux affirmer une résurrection de Jésus qu’on adopte une perspective plus objectiviste. De l’autre, à l’inverse, on considère que commencer à admettre (de quelque manière que ce soit) l’intervention d’une subjectivité croyante, c’est lâcher la possibilité de tenir véritablement une résurrection concernant Jésus lui-même ; c’est s’exposer à glisser irrémédiablement sur une pente dangereuse en bas de laquelle on en vient à dire qu’il ne s’agit en réalité, en toute l’affaire, que de nous-mêmes, que de notre propre subjectivité et du sens que nous donnons, nous, à notre propre existence (dans l’étroite mesure, évidemment, où nous estimons pouvoir lui en donner un).

Les choses sont-elles, à vrai dire, aussi tranchées, aussi simples, aussi simplistes ? Il devrait être clair que, pour en décider, il ne suffit de se référer ni à des préjugés dogmatistes, ni à des a priori de soupçon. Le seul moyen de trancher en connaissance de cause est d’aller vérifier de près la seule base sur laquelle on puisse valablement s’appuyer tant pour la négation que pour l’affirmation les textes mêmes qui consignent le témoignage de ceux qui prétendent avoir été les témoins d’une résurrection de Jésus et qui, en tout cas, en ont été originellement les hérauts, à savoir les textes du Nouveau Testament. On a déjà noté qu’il était occasionnellement fait référence à ces textes aussi bien par ceux qui nient que par ceux qui tranchent par l’affirmative ; que disent-ils en réalité, et que peut-on en dire aujourd’hui ? C’est ce qu’il convient maintenant de tirer au clair, dans les limites qui doivent nécessairement rester celles d’un article comme celui-ci.

 

  1. ATTESTATIONS ET RÉPONSES DU NOUVEAU TESTAMENT

 

Ce qui est frappant aujourd’hui, au terme d’une lecture attentive des textes néo-testamentaires, c’est qu’ils ne semblent aucunement mettre une quelconque opposition entre le fait que la résurrection a véritablement concerné Jésus lui-même, et le fait que ceux qui l’affirment apparaissent existentiellement et radicalement impliqués dans l’affirmation qu’ils en font. Tout au contraire, selon les écrits synoptiques, pauliniens et johanniques, ce n’est pas ailleurs que dans l’expérience des disciples que s’est attestée la réalité d’une résurrection qui était bien effectivement, selon eux, le fait de Jésus.

 

L’expérience et la foi des disciples

 

1. Le temps n’est plus où un rationalisme facile faisant ici comme ailleurs ou du gros bon sens ou d’une pure raison l’ultime critère de la vérité, croyait pouvoir régler allégrement la question de la résurrection de Jésus en alléguant une supercherie des disciples. Soucieux de ne pas perdre la face après la déroute de leur leader, ceux-ci auraient inventé la fable du tombeau vide, accrédité à partir de là la fable d’une survie de Jésus et, quitte à négocier quelques transpositions plus ou moins déviantes de son message et de son inspiration, prétendu s’inscrire dans sa mouvance et détourner ainsi à leur bénéfice l’ascendant qu’il avait si bien su, avant sa mort, exercer sur une partie au moins de son entourage. Mi-connivents mi-floués, de nouveaux disciples auraient accordé leur adhésion, et c’est ainsi qu’aurait pris vie la croyance en une résurrection de Jésus qui se serait certes répercutée de siècle en siècle, mais qui ne reposerait en réalité que sur du vent.., et qui, à vrai dire, était d’ailleurs destinée à tenir fort peu de place dans les motivations réelles de beaucoup de ceux qui, par la suite, prétendraient bien, pourtant, faire profession de christianisme !

L’explication est trop simple pour être définitive. S’il ne s’agissait en effet, en la matière, que d’aligner des « raisons », on pourrait tout aussi bien en trouver qui inviteraient à plus de circonspection. Il suffira d’en retenir ici deux, réservant pour un peu plus tard des considérants plus importants.

Il est tout d’abord possible d’observer que l’on fait malgré tout bon marché, ici, d’une donnée sur laquelle s’accordent pourtant radicalement l’ensemble des témoignages. L’accablement des disciples de Jésus après sa mort paraît bien avoir été tel, il faut tout de même l’admettre, qu’on les voit mal tirer de leur propre fonds l’énergie suffisante pour se faire, sans plus, les champions, menacés eux-mêmes de mort, d’une cause (re)connue d’emblée par eux comme sans aucun fondement. D’un autre côté, il faut signaler un acquis récent de la recherche exégétique : la  tradition du tombeau vide paraît bien être indépendante  de celle(s) des apparitions. S’il en va effectivement ainsi, il convient évidemment de tirer de là deux conclusions au moins. D’une part, certains textes n’auraient eu pour but que de rapporter le fait d’un vide du tombeau, et cela donne à la chose une certaine crédibilité, puisqu’alors on ne peut plus lui donner pour motif la volonté de prouver autre chose, à savoir la résurrection. D’autre part, d’autres textes ont pu annoncer la résurrection sans argumenter à partir d’un vide du tombeau, et cela déboute la position rationaliste ici présentée d’une partie au moins de son évidence.

 

2. Ce n’est pas à dire pour autant que le temps soit revenu d’une apologétique somme toute aussi facile et aussi rationaliste que le rationalisme même qui vient d’être à l’instant suspecté. L’apologétique en question prétendait en effet, elle aussi, argumenter rationnellement. Elle le faisait, on l’a rappelé, à partir de deux ordres de données considérées comme des faits au préalable bien établis : le vide du tombeau et les apparitions.

Mais il y a paralogisme à prétendre arguer du premier (même si on peut le tenir aujourd’hui pour à peu près certain) en faveur d’une résurrection, car bien d’autres raisons peuvent assurément l’expliquer ! Quant aux apparitions, il faudrait, pour qu’on puisse leur faire jouer le rôle qu’on leur attribue ici, que Jésus s’y soit présenté avec une évidence telle et, si l’on peut dire, avec une « massivité » si « objectivement » constatable, qu’alors en effet les voyants auraient eu la preuve tangible — c’est bien le cas de le dire — de son retour à la vie. Or, cela a déjà été signalé, les textes sont formels sur ceci : ce n’est pas indépendamment d’un acte de croire que les disciples ont pu « voir » leur Seigneur ressuscité.

 

3. En réalité, plusieurs points sont clairs et c’est donc d’eux et de rien d’autre qu’il convient de partir - ou de repartir.

Il est assuré que la mort de Jésus a jeté ses disciples les plus assidus dans un accablement total. Il est assuré, également, que peu de temps après cependant, ces mêmes disciples en sont venus à la proclamation assurée, pour ne pas dire conquérante, d’une résurrection de Jésus. La question est donc posée de ce qui a pu les faire passer, ainsi, d’un état à un autre, si contrasté. Mais il est assuré, aussi, que s’ils ont effectué ce passage, c’est parce qu’ils ont cru à une telle résurrection.

La vraie question qui se pose est donc très précisément celle de savoir ce pu susciter les disciples à croire ce qu’ils ont cru pouvoir et devoir annoncer. Or il est assuré, enfin, que, quant à eux du moins, c’est à ces « événements » qu’on nomme communément aujourd’hui apparitions qu’ils ont fait référence, c’est en eux qu’ils ont pris appui, c’est sur eux qu’ils ont fondé leur passage à la foi.

Tout se résume donc, au bout du compte, à la question de savoir ce qui a pu se passer dans les apparitions. A en croire les textes qui les rapportent et qui sont évidemment le seul moyen à partir duquel on puisse s’en faire une idée, elles se présentent comme des expériences visuelles, auditives, tactiles même ; mais, à vrai dire, comme des expériences qui ont aussi très largement excédé le champ de la pure sensibilité, tant elles paraissent avoir été riches et complexes. On peut, en fait, leur reconnaître les caractères suivants. D’un côté, elles ont été vécues par ceux qui les ont connues comme des expériences totalement improbables et inattendues, dont ils n’avaient aucunement l’initiative et dans lesquelles ils se découvraient sous le coup d’un « advenir d’ailleurs » au départ totalement déconcertant. Quant à leur déroulement même, elles paraissent avoir toutes comporté cette structure voir/ne pas voir, toucher/ne pas toucher, reconnaître/ne pas reconnaître et, pour finir, évidemment, apparaître/disparaître. Il semble bien, enfin, qu’aux yeux de leurs témoins elles n’aient trouvé leur plein accomplissement que dans les effets qu’elles ont produits en eux après coup. C’est après la disparition de ce qui s’était donné à voir (Emmaüs par exemple), c’est quand on a compris que l’important n’est ni de voir ni de toucher (Marie-Madeleine, Thomas) qu’alors se produit la reconnaissance de « Jésus » et cette reconnaissance est dans tous les cas indissociable d’un acte d’annoncer à d’autres, de faire quelque chose pour que cela se sache, de s’employer à changer sa vie — et le monde.

Tant et si bien que l’on ne peut dire, en effet, ni que les disciples ont fomenté une supercherie sur la seule base de leurs propres désirs, ni qu’ils ont été confrontés à une évidence en toute « objectivité » ! Ce que l’on doit dire, en revanche, c’est ceci : ils ont fait l’expérience que « quelque chose leur arrivait », et ils ont posé l’acte de croire que ce « quelque chose » était inintelligible en dehors de ce que, pourtant, ils n’attendaient aucunement : une résurrection de Jésus.

Comment en sont-ils venus là ?

 

Résurrection et divinité de Jésus

 

1. Accablés par la mort de Jésus, certains des disciples, inexplicablement, hors de toute attente, ont fait peu de temps après des expériences dans lesquelles ils ont eu un double sentiment : le sentiment de retrouver quelque chose qu’ils avaient déjà vécu avec JÉSUS avant sa mort, et le sentiment que ce quelque chose était cependant d’un autre ordre que ce qu’ils avaient alors pensé.

En lien direct avec ces expériences, ces mêmes disciples ont d’autre part expérimenté une transformation, une suscitation de leur vie telle qu’ils y ont vu l’exaucement des espérances que, avec toute la tradition dont ils étaient issus, ils avaient appris à mettre en DIEU même. Pour Israël, c’est dans les œuvres de libération et de salut qu’il accomplissait en faveur des siens que Yahwé s’était révélé. De sorte que, pour les disciples de Jésus aussi, Dieu n’était autre que la Source et la Force qui conduit une histoire en lui donnant sens ; il n’était autre que le Rocher qui porte et la Forteresse qui protège les destinées de son peuple et — on l’avait réalisé progressivement — de chacun des membres de ce peuple. Or cela même qui apparaissait précisément être la signature de Dieu, le signe révélateur de son action, voilà qu’en somme on le voyait se reproduire à travers des expériences qui paraissaient inexplicablement liées à Jésus au-delà même de sa mort. Alors que le départ de leur Maître les avait totalement désemparés, les disciples découvraient à leur propre surprise qu’aucune crainte, aucune peur, aucune contrainte, aucune puissance ne pouvaient les accabler ni faire échec à leur vie et à leur espérance. Bref, tout se passait en réalité comme si, grâce à Jésus et par lui — mais comment donc cela pouvait-il se faire, puisqu’ils ne s’y attendaient aucunement ? —, Dieu était (re)venu vers eux, Dieu même était avec eux.

Ainsi aboutit-on à ce résultat : si la foi en la résurrection de Jésus est la lecture croyante que les disciples ont cru pouvoir/devoir faire des « apparitions », cette lecture a supposé chez eux deux choses : d’une part le partage préalable de la vie terrestre de Jésus et d’autre part la foi et l’espérance, préalables elles aussi, en un Dieu expressément reconnaissable et reconnu dans cela précisément qu’il réalise pour et dans la vie des hommes. On peut donc dire : 1) que, originellement, l’affirmation de la résurrection de Jésus représente la lecture que les disciples ont faite de « quelque chose » qui (leur) était arrivé dans certaines circonstances bien précises peu de temps après la mort de Jésus ; et 2) que cette lecture a consisté à reconnaître ce « quelque chose » comme un acte de la puissance de Dieu : comme un acte manifestant que la puissance divine qu’ils avaient déjà expérimentée en Jésus avant sa mort allait, en lui, bien plus loin qu’ils ne l’avaient alors pensé.

Déjà durant le temps d’avant la Croix, Jésus, quand ils s’ouvraient à lui, leur avait paru exercer sur leur vie une influence dynamisante, un pouvoir suscitant ; déjà cette expérience les avait conduits à s’interroger sur la source de la puissance de vie qui, émanant ainsi de lui, devait donc l’habiter ; déjà ils en étaient venus à chercher la réponse à cette question du côté du lien tout particulier qu’il paraissait entretenir avec Celui que, d’une manière si singulière, il nommait son Père. Ce qu’ils comprenaient maintenant, au-delà de cela mais dans la même ligne, c’est justement que la puissance de vie qui à la fois habitait Jésus et rayonnait de lui était (quelque chose de) la puissance de vie de Dieu lui- même. Paraissant maintenant avoir traversé la mort même, cette puissance était bien, en effet, à reconnaître comme de « nature » divine, puisque — toute leur histoire le leur avait appris — le pouvoir sur la vie et sur la mort non seulement ne pouvait être qu’une prérogative divine, mais s’avérait le signe irrécusable de l’intervention, de la venue, de  la présence de Dieu même parmi les siens. Si le Dieu vivant et sauveur d’Israël se signale en ce qu’il n’est pas un Dieu de morts mais de vivants (Mc 12,27), Jésus en représente de quelque manière l’intervention active parmi les croyants puisque pour eux et en eux il apparaît, ni plus ni moins, comme « Prince de la vie » (Ac 3,15).

 

2. Ainsi deux questions ont-elles paru aux disciples en voie de s’éclairer mutuellement. D’un côté, la question que soulevaient quant à leur source les expériences faites après la mort de Jésus commençait de s’éclairer si on la regardait à la lumière de ce qui s’était déjà donné à pressentir clans l’existence de ce Jésus d’avant la Croix. Inversement, la question que posait quant à son identité la figure de Jésus dès le temps de sa vie terrestre commençait de s’éclairer si on la regardait à la lumière de ce qui était vécu maintenant, au-delà même des événements du Calvaire. Ce qui, dans les deux cas, apparaissait finalement en jeu, on le voit, c’est l’identité même de Jésus, c’est-à-dire, très concrètement, la « nature » exacte des liens que pouvait entretenir cet homme de Nazareth que l’on avait fini par crucifier et ensevelir, avec cette Réalité transcendante à laquelle on reconnaissait la maîtrise absolue sur toute chose et la puissance de vie de toute chair cette Réalité que l’on nommait Dieu, et que Jésus appelait son Père.

De sorte que si un point est clair c’est bien le suivant : la confession de foi en la résurrection de Jésus est équivalemment, au bout du compte, la confession de ce que l’on peut appeler l’appartenance de Jésus à la Réalité même de Dieu. Si la foi d’Israël pouvait se résumer en la confession de Dieu comme de celui qui a arraché son peuple à la captivité de l’Égypte, la foi des chrétiens se concentre, elle, en cette proclamation : Dieu a ressuscité Jésus d’entre les morts, et en cela il a révélé pour nous son vrai visage (cf., par exemple 2 Co 4,6). Cela va si loin que Paul pourra écrire : « Si tes livres confessent que Jésus est Seigneur et si ton cœur croit que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé » (Rm 10,9) ; si loin, que Pierre pourra inviter les chrétiens à reconnaître que désormais la foi en Dieu trouve dans la résurrection de Jésus à la fois son motif ultime, son énergie décisive et son véritable objet : « Par lui (Jésus) vous croyez en Dieu, qui l’a fait ressusciter d’entre les morts et lui a donné la gloire, si bien que votre foi soit en Dieu comme votre espérance » (1 P 1,21).

 

3. Si telle est la manière dont s’est opérée originellement l’affirmation d’une résurrection de Jésus, plusieurs données se précisent.

Il est tout d’abord évident que la résurrection qu’ont affirmée les disciples concerne bien Jésus lui-même. Elle n’est pas seulement un changement d’humeur ou de style d’existence qui n’aurait affecté que leur existence à eux. Elle est même tellement le fait de Jésus qu’elle est en définitive ce par quoi pourra être reconnue sa véritable identité.

Il est bien certain par ailleurs qu’avec cette affirmation, cette question de l’identité de Jésus n’est pas pour autant réglée en toute clarté. Il n’en reste pas moins cependant que, d’un côté, elle est clairement posée déjà en termes de divinité et que, d’un autre côté, lorsqu’elle sera résolue par l’affirmation de la filiation divine de Jésus, on restera dans le même registre d’une participation de Jésus à la puissance de vie qui est celle de Dieu ; on précisera seulement alors le mode de cette participation. Si Jésus peut être reconnu comme détenteur de la vie de Dieu, c’est, explicitera-t-on, en tant qu’engendré à cette vie ; si Jésus peut être confessé comme Dieu, c’est à titre de Fils de Dieu.

Dernier point enfin si c’est la conjonction d’une référence à la vie terrestre de Jésus et d’une foi préalable en un Dieu vivant et source de vie qui a conduit les premiers disciples à lire leurs expériences post mortem Jesu comme attestant une résurrection de Jésus, il est clair que toute confession ultérieure de cette résurrection supposera l’acceptation du témoignage de ceux qui, ayant connu Jésus aux jours de sa chair, prétendent l’avoir rencontré dans le temps qui a suivi sa mise en Croix. Mais il est clair aussi que pourront recevoir leur témoignage ceux-là seuls pour qui la question de Dieu est inséparable de celle de la vie de l’homme ; ceux pour qui Dieu est susceptible de manifester sa divinité précisément en ce qu’il réalise pour et dans la vie de ceux qui croient en lui[4] ; ceux qui pourront reconnaître, avec un saint Irénée, que « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ».

 

Comment conclure ? Le mieux est sans doute d’indiquer quelques questions à suivre.

 

1. Un minimum d’attention suffit à le faire apparaître : les quatre types de prises de position présentés dans la première partie de cet article engagent en fait une conception et une pratique de l’ensemble de la foi chrétienne. Quant à la deuxième partie, ce qui y a été exposé manifeste que l’attestation néo-testamentaire relie étroitement l’affirmation de la résurrection de Jésus à la reconnaissance et de son identité divine et de sa fonction de sauveur. — Les chrétiens d’aujourd’hui n’ont-ils pas à la fois à vérifier soigneusement quelle place tient de fait dans leur foi la résurrection de Jésus et dans quelle mesure, lorsqu’ils lui font effectivement place, elle éclaire aussi bien leur notion de Dieu que l’idée qu’ils se font de leur propre destin ?

 

2. C’est finalement dans la transformation même qu’ils ont vue se produire en leur propre existence que les premiers disciples ont vu s’attester la réalité d’une résurrection de Jésus. — Les croyants d’aujourd’hui n’ont-ils pas à ressourcer toujours la foi, qu’ils ont parfois tendance à trouver si difficile, aux expériences vivifiantes qu’il arrive de fait à cette foi elle-même de susciter en leurs vies.., sans préjudice pour la nécessité où ils sont, inversement, de réajuster sans cesse mieux les pratiques qui sont les leurs à la foi qu’ils estiment pouvoir professer ?

 

3. Si la foi en la résurrection a pu s’étendre au-delà du cercle étroit des témoins des apparitions de Jérusalem et de Galilée, c’est dans la mesure où ceux-ci (et leurs émules à travers les siècles) ne se sont pas contentés de rapporter un pur « c’est arrivé à Jésus », mais dans la mesure où devenait parlante cette transformation de leur vie dont ces pages ont dit à plusieurs reprises le caractère décisif. — Il faut voir là la définition même du témoignage chrétien dans le monde. Ce sont les chrétiens eux-mêmes qui sont parmi les hommes la crédibilité humaine de la résurrection de Jésus. C’est à eux qu’il revient désormais de faire apparaître que Jésus est ressuscité comme Christ, en faisant voir qu’il s’atteste comme ressuscité dans la suscitation même qu’il ne cesse d’opérer de leurs propres existences. Est-ce trop dire et trop « charger » les chrétiens ? Il ne semble pas, car n’est-il pas écrit et chanté parmi nous que « nous sommes le corps du Christ » ? Et n’est-ce pas à nous qu’est posée la question : « Qu’avez-vous fait de lui ? »

 

 

 

Guide de lecture

 

Lecture des pages 1-6 et 10

  1. Résumez en une phrase chaque type de « prise de position » et les deux attitudes.

Dans quel ordre sont-elles classées ?

  1. Pourquoi est-il nécessaire de lier l’acte et le contenu de la foi ?
  2. Qu’est-ce qui rend difficile actuellement la foi en la résurrection de Jésus-Christ, selon l’auteur ?
  3. Ces questions sont-elles toujours actuelles ?

 

 

Lecture des pages 1 et 6-10

  1. Comment objectivité et subjectivité sont-elles articulées dans les récits de la résurrection ?
  2. Comment recevez-vous cette affirmation de l’auteur en conclusion : « Ce sont les chrétiens eux-mêmes qui sont parmi les hommes la crédibilité humaine de la résurrection de Jésus. C’est à eux qu’il revient désormais de faire apparaître que Jésus est ressuscité comme Christ, en faisant voir qu’il s’atteste comme ressuscité dans la suscitation même qu’il ne cesse d’opérer de leurs propres existences. »

 

 

[1] 1. Pour la différence entre « Jésus » et « Christ » et son importance dans la théologie du Christ (christologie), qu’on nous permette de renvoyer l’article « Enseigner la christologie ? » et à la présentation de la collection « Jésus et Jésus-Christ » dans J. Dore al., Jésus, le Christ et les chrétiens. Desclé 1981, respectivement aux pages 97-121 et 297-300 ou, plus accessible, à l’article « Jésus-Christ », dans J. Dore et al., Dictionnaire de Théologie Chrétienne . I. Les grands thèmes de la foi. Desclée, 1979, p. 193-209.

[2] Voir témoignage chrétien n° 1864, 31 mars-6avril 1980, p.5-13. E. Borne (la Croix, 14 mars 1980) et R. Laurentin (Le Figaro, 24 mars 1980) avaient, à l’époque, tenu à publier leur avis sur ce genre de sondages. Dans ces pages, on n’a fait que s’inspirer des catégories que distinguait nettement le questionnaire diffusé ; la présentation détaillée de chacune de ces catégories est ici exclusivement le fait du signataire du présent article.

[3] La formule est de M. Machovec, dans Jésus pour les athées, tr. fr. coll. « Jésus et Jésus-Christ » n°5, Desclée, 1978. L. Kolakowski, qui conduit sur ce point une réflexion du même type que Machovec,  énumère ici, entre autres : la dénonciation de l’absolutisme de la loi au bénéfice de l’amour, la suppression de la violence dans les rapports entre les hommes, la conviction que « l’homme ne vit pas seulement de pain », l’abolition de l’idée de peuple élu, la « misère physique » des réalités temporelles, etc. Bonne présentation succincte par G. Bessière, dans Jésus, n°16 (Pâques 1978).

[4] Sur l’affirmation de Dieu aujourd’hui, voir l’article « Création » dans Dictionnaire de théologie chrétienne, T.1, p.74-79 ; et les belles études de P.-J. Labarrière, Dieu aujourd’hui, Desclée, 1977, et Dimensions pour l’homme, Desclée, 1975.